On extended, boundless, vibratory and in-the-now sympathy music

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Une Époque Circuitée

Réflexion sur l'organologie des arts en réseau : le passage de l'Internet à un état musical.

(Jérôme Joy)
Locus Sonus – audio in art, groupe de recherche, http://locusonus.org/
Professeur à l'École Nationale Supérieure d'Art de Bourges, France
joy(at)thing.net, support(at)locusonus.org






Version 9 juin 2010
In Revue Intermédialités - Histoire et Théorie des Arts, Lettres et des Techniques - April, 2010, No. 13 - « Programmer », (pp. 57-76), CRI, Centre de Recherche sur L'Intermédialité, Université de Montréal (QC), 2010.


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Sommaire(Edit)




Abstract(Edit)

Pourquoi faut-il penser une organologie des arts en réseau ? Les pratiques artistiques peuvent-elles proposer des reconstructions et des re-programmations de circuits de réception et d’émission, là où les choses semblent socialement, juridiquement et techniquement dissociées et désajustées dans notre quotidien technologisé ? Programmer c’est « construire » des circuits, des associations d’organes, des circulations d’actions, et des espaces de connexions dans lesquels les œuvres, que nous pourrons prendre dans un sens large, i.e. les productions humaines, prennent forme et créent des situations appropriables, de manière critique, à la fois individuellement, en commun et collectivement.

En cela, et en cadrant sur ses dimensions sociales, j’avance le terme de musique étendue qui, en supplément de son extension à des systèmes télématiques de transport et d’interprétation à distance, annonce sans doute le passage du réseau à son état musical (ses dimensions agogique et organologique). Ceci relève, d’une part, de nos capacités à moduler et ralentir les flux pour échapper au temps asservi de nos technologies, et, d’autre part, de nos potentiels d’attention et d’écriture à tracer nos parcours, à émettre nos annotations sur les choses reçues, et à assembler des perceptions et des fabrications, c’est-à-dire à programmer, composer et recomposer des circuits, des espaces critiques et des différends, et donc ainsi des liaisons et des reconnaissances sociales. N’est-ce pas ce que nous faisons quotidiennement dans le contingent et dans nos décisions face à lui pour construire nos récits, nos hypothèses et nos fictions ?


Why is it necessary to elaborate an organology of network arts ? Can artistic practices put forth reconstructions and "re-programmings" of circuits, where things are out of tune ? Programming involves manufacturing circuits, grids and spaces of connections where artworks take form and create a wide range of situations. The concept of extended music that is proposed in this article related to the nascent musical state of electronic networks (the Internet) in the development of its agogical and organologival dimensions. This shift concerns our capacitis to slow down and decelerate the fluxes by condensing and "interpreting" them, as well as our ability to compose our courses and navigations through networks by marking and leaving traces of our passages in spaces and on telematic surfaces. This embodiment related to our experiments with social, technical and legal contexts and controversies, asks to assemble our perceptions and manufactures by programming, composing and re-composing circuits.








1. — Introduction : une question d'organologie(Edit)

Pourquoi faut-il penser une organologie des arts en réseau[1] ? En quoi les pratiques artistiques numériques, supposées incorporelles – comme si l'immatérialité, dite informe, des supports et des processus programmés, ainsi que des immatériaux, annihilait toute participation corporelle et spatio-temporelle matérielle et informée –, ouvrent des interrogations précises vis-à-vis de ce qui est considéré (à tort) comme stable : l’inscription de nos présences et les relations aux corps – c'est-à-dire l'œuvre, le statut d'artiste, l'exposition, le concert, etc., et bien entendu tout ce qui affectent nos perceptions et nos organes de compréhension du monde dont les œuvres – ? Ou bien, en quoi les pratiques artistiques peuvent-elles proposer des réajustements entre champs sociaux, technologies, et pratiques d'invention et de création (Joy, 2005)[2] ? Au travers de ces œuvres d’art, de quelles situations et réconciliations parle-t-on entre ces champs de pratiques, si ce ne sont celles qui re-circuitent l’individu à son environnement, à son contexte et à ses pairs ? Comment l’œuvre reste-t-elle ainsi un « laboratoire des différends » (Lyotard, 1985)[3] et un lieu de participation[4] ?

Il s’agit de focaliser ici sur toute une série de questions qui demande de repositionner l’humain dans un réel heureux et passionnant avec lequel l’œuvre émancipe à la fois l’auteur et l’auditeur/spectateur dans une appropriation des réalités, en devenant passeur de celles-ci[5]. Ceci demande de déplacer quelque peu notre regard et de moins considérer la production et la situation humaines comme enserrées d’emblée dans un contexte décevant, oppressant, difficile à accepter, voire toxique — comme notre quotidien et nos environnements technologiques peuvent être vécus aujourd’hui —, auquel l’œuvre d’art se substituerait, et dans lequel cette dernière avancerait parfois, et ainsi légitimement, en niant ou délaissant ce qu’elle traverse. Dans les territoires des réseaux électroniques qui sont l’objet de notre observation dans ce texte, la dimension sensible de l’œuvre semblerait malgré tout modeste, sans vélléité de notoriété ni d’ « audimat » à tout prix, fabriquant et inventant des constructions — aussi discrètes et furtives soient-elles, et pourtant bien présentes, en acte, et donc, en participation —. Notre intention est d’approcher ces fabrications dans leurs dimensions expérimentales comme alternatives de l’emprise des technologies de réseau dans notre quotidien, et d’examiner si celles-ci redeviennent propices à des attentions critiques (deep attention[6]) en rémédiant à l’ambivalence de nos techniques, à la fois pollens et virus (Bianchini, 2000 ; Stiegler, 2008)[7].

L’approche que nous voudrions proposer peut permettre de dessiner un aperçu d’une organologie liée aux territoires des réseaux électroniques et qu’il restera à décrire et à étudier ultérieurement. L’objet est ainsi d’amorcer et d’offrir des distinctions et des caractéristiques, récurrentes et classifiables, des dispositifs de participation, des circuits de liaison et de programmation engagés par les arts en réseau entendus métaphoriquement comme un faire (de) la musique ensemble, tant la notion d’instrument (Simondon, 1958)[8] peut sembler pertinente à cet égard, pour ainsi impliquer l’examen d’une nouvelle lutherie que nous pourrions qualifier de lutherie de participation. Cette dernière peut se fonder sur notre activité de jouer et de programmer des systèmes instrumentaux, ici de natures numériques et télématiques[9] et d’y inscrire et mémoriser des interprétations, et finalement d’y prévoir sa multi-jouabilité par différents participants simultanés ou successifs (dans le même espace ou dans des espaces distribués géographiquement et reliés télématiquement). Cela concerne la capacité, qui nous est offerte par les technologies de réseau, de les moduler — ou de les faire moduler —, de les adapter, de les modifier, voire de les fabriquer. La différence réside dans le fait que ces instruments, comparés à ceux classiques, puis aux plus récents, électroniques, sont souvent hybrides, constitués informatiquement sur les réseaux et interfacés physiquement — ce qui permet aussi leur reconfiguration ou reprogrammation partielle ou totale —. Ils intègrent des registres variés de l’action temporelle (du temps réel au temps différé), et ne sont pas solides et stables, dans le sens où ils sont liés à la volatilité et l’obsolescence rapide des technologies (Lemouton, Bonardi & Ciavarella, 2009 ; Cance, Genevois & Dubois, 2009 ; Foulon & Jedrzejewski, 2009)[10]. Si le terme lutherie peut sembler au premier abord trop spécifique, il a pourtant pris une acception plus large par l’extension de la fabrication d’instruments (de musique) aux configurations électroniques et informatiques, en permettant ainsi un renouveau des classifications organologiques. À la suite de Peter Szendy à propos d’une « organologie de nos oreilles » et de nos corps appareillés (Szendy, 2001)[11], et après tout un cortège de chercheurs, philosophes, musicologues et compositeurs qui se sont interrogés à partir du début du siècle dernier sur les modifications de la musique, et des pratiques de celle-ci, par l’apport des systèmes techniques de reproduction, de diffusion et de communication[12], Nicolas Donin et Bernard Stiegler donnaient en 2004 une dernière appréciation de cette évolution exponentielle qui s’est déroulée lors du XXème siècle et qui se poursuit aujourd’hui :

Le tournant machinique [de la sensibilité] correspond à un « élargissement » de la base « organologique » de la musique : si les machines ne deviennent pas nécessairement des instruments de musique, elles s’y articulent en revanche étroitement, au point d’en conditionner les pratiques. (Donin, Stiegler, 2004)

Notre proposition est d’étendre à nouveau ce périmètre aux systèmes instrumentaux en réseau, dispositifs dont il reste encore à distinguer les degrés d’instrumentalité (tout en réinterrogeant « La question de la technique » de Heidegger), en partant d’un aspect constitutif aux pratiques télématiques qu’ils portent : la participation — qui comme nous l’avons vu plus haut, est définie, selon Gilbert Simondon, par la « relation d’un individu à son milieu » (Simondon, 1964)[13] —. Cette dimension est présente dans l’œuvre en réseau, réticulaire, sujette à des conditions expérientielles, comme nous l’indiquent Vincent Rouzé et Maxence Déon dans un article récent :

Le concept d’expérience ou de processus expérientiel, comme l’appelle le philosophe pragmatiste John Dewey[14], repose sur un triple jeu d’action participation réaction. Dans cette perspective, l’esthétique n’est plus uniquement liée à l’objet, ni à « l’expérience » renvoyant à une psychologie du sujet mais est le fait de l’expérience interactive entre l’artiste, sa création, la (les) machine(s) et le public. La création proposée joue paradoxalement de la machine pour réinsuffler un rapport direct et participatif avec l’humain. Cette proposition de Dewey a le mérite d’inscrire l’action comme élément central de l’approche artistique et d’éviter de considérer les relations objets, artistes, publics selon une logique segmentée et discriminante. (Rouzé & Déon, 2009)

En abordant une lecture de nos utilisations des réseaux, il s’agit de questionner nos présences, parfois multiples, multipliées, rémanentes et simultanées, dans les réseaux numériques en tant qu’actions d’écriture, de lecture, de proposition et d’écoute, bref, en tant qu’attention créative et critique.





Embranchement 0 : Le moment de placer un Prologue.

Notre examen propose de prolonger impunément cette lecture, notée ci-dessus, par une analogie avec la musique et la programmation — i.e. en tentant une sorte de futurologie musicale, sans prétention scientifique, tout en me référant aux expériences et projets de musique en réseau (ou télémusique) que j’ai pu réaliser depuis 1995 et que je continue de développer. Il s’appuie aussi sur des observations dans les domaines bibliographiques, webographiques et artistiques (Joy, 2008 ; 2009a ; 2009b ; 2010a ; 2010b ; Joy & Sinclair, 2009a)[15] à propos des pratiques en réseau, observations issues de mes recherches personnelles et menées au sein de Locus Sonus (Joy & Sinclair, 2009b ; 2008)[16]. Il faut noter que mon atelier est rarement déconnecté, et que les machines peuplent mon plan de travail, réseaux d’ordinateurs, de fils, de disques durs, entremêlés aux papiers, blocnotes et crayons, jusqu’aux écrans lumineux et claviers usés qui me servent d’interfaces. L’ensemble fait chauffage et éclairage de cette recherche.

Il faut considérer cet article comme une articulation de prises de notes de travail dans un cadre de projection d’hypothèses, plus ou moins précises, et dont l’issue est inconnue, selon des logiques prospectives et personnelles, plutôt que comme un article de fond à caractère théorique. Parlons plutôt de « boîte à outils »... Ce texte n’est pas scientifique. Il bricole. Il agence ; comme une série de post-its, que je commente, et à partir desquels je prospecte et recherche cette organologie proposée de la télémusique. Sans doute je me trompe parfois, j’interprète, je prolonge les sources que je rapporte, je propose une histoire, etc. (Pourquoi aurais-je raison ?). Le tout apparaîtra être plus ou moins approximatif — je l’assume[17] —, plus ou moins ingénieux, plus ou moins complet (si des sources sont lacunaires, lecteurs, je vous invite à les compléter et amender). Sans doute l’objectif est de pressentir et d’anticiper des évolutions, et ainsi d’y gagner en questionnements sur ce qui fait réseau et sur ce qui fait musique…

Si je m’attache à questionner les problèmes et les enjeux de la musique et de l’art audio en réseau, c’est parce que je présente depuis plusieurs années des œuvres et des projets qui ont tendance à s’y amarrer, sans toutefois vouloir s’y identifier totalement (Gauthier, 2009). La musique en réseau (ou télémusique) m’apparaît moins un genre en tant que tel (c’est-à-dire s’appuyant sur son propre langage et créant ses propres codes) qu’une mise à jour des conditions musicales — i.e. un renouvellement des conditions de la musique et de celles de faire de la musique —, ou alors, hypothèse corollaire, faudrait-il l’apparenter aux autres instrumentariums et auditoriums (tels que la musique de chambre, la musique électroacoustique, etc.), et aux dispositifs qu’ils constituent respectivement pour produire et représenter de la musique ; chacun de ceux-ci représentant aussi à mon sens des variations de conditions qui leur sont propres ou qui interagissent entre eux, et qui retracent des généalogies : historiques, techniques, d’écoute, etc. (Joy, 2010b). Dans ce sens, il faut considérer que le ou les problèmes, émanant de la série de questions que nous explorons, dépassent le seul aspect de l’utilisation des réseaux et interrogent dans leur ensemble nos registres d’action et d’attention — tout comme, à un autre niveau, ma prédisposition et ma volonté de faire croiser et de convoquer une variété de formes possibles musicales au sein de mon travail[18], en adéquation avec des obsessions plus générales, dépassent la seule justification des choix techniques que j’opère.

En parallèle, il semble opportun de considérer et de bâtir aujourd’hui un historique de la télémusique (Joy, 2010b), c’est-à-dire de mettre à jour un corpus d’expériences, de tentatives et de réalisations artistiques qui ont exploré la prise en compte d’interconnexions d’espaces (par les transports de sons) et de l’écoute à distance au sein même du processus musical et de la réalisation sonore. Ainsi, les questions relatives au contexte, à l’espace, au local et aux interprétations que les pratiques, inter-personnelles et collectives, de ces lieux et temporalités fabriquent, prennent une importance prééminente dans les systèmes télématiques et télémusicaux.

Actuellement vivaces autour des notions d’audio art, de sound art, et d’audio culture[19], des domaines de recherche se construisent sous les termes d’anthropologie sonore et de sound studies, dans les croisements entre les pratiques musicales, sonores et radiophoniques (networked music, lowercase music, field recording, etc.[20]) et celles scientifiques issues de la sociologie, de l’architecture et de l’acoustique, sans oublier la philosophie. Des dimensions historiques et sociales sont ainsi dessinées et apportent un socle solide pour le déploiement d’investigations et d’explorations à la fois théoriques et artistiques. Celles-ci touchent, via l’investissement des techniques et technologies dans notre quotidien, les interrogations liées à l’impact de nos environnements sur nos pratiques et vice-versa, tout autant que sur nos socialités (qu’ils structurent et qui s’y structurent). Les réseaux, c’est-à-dire la sphère télématique, y ont, selon notre étude présente, une place significative.








2. — Les réseaux : un espace animé et instrumenté d'adresses(Edit)

Les réseaux, nous dit Lucien Sfez[21], apportent « — per se — la circulation », transforment « la relation au temps et à l’espace », soulignent l’interaction et « relient des champs hétérogènes ». Tout en signalant l’ambivalence des réseaux entre démocratie et contrôle, il rapporte les propos d’Al Gore présentant l’Internet comme

un service universel qui sera accessible à tous les membres de nos sociétés, et, ainsi, permettra une sorte de conversation globale, dans laquelle chaque personne qui le souhaite peut dire son mot[22].

Les réseaux sont sous leurs aspects techniques une mise en relation d’ordinateurs distants et sont définis de manière plus générale par Michel Bassand et Blaise Galland comme

un ensemble de points (personnes, groupes, lieux, etc.) liés selon des modalités multiples, de telle manière qu'ils forment un système d'échange de biens, de personnes, d'énergie, de capitaux, d'informations[23].

Ce qui permet de rejoindre la conception des réseaux sociaux par le sociologue Norbert Elias vus comme

un mouvement perpétuel, tissant et défaisant inlassablement des relations ; c'est effectivement ainsi que l'individu issu d'un réseau de relations humaines qui existait avant lui s'inscrit dans un réseau de relations humaines qu'il contribue à former.[24]

De son côté, Jean-Claude Risset prolonge son point de vue sur les investigations musicales à la fin de vingtième siècle en proposant de dynamiser nos présences :

L’apparition de réseaux de communication promettant de devenir de véritables « autoroutes » de l’information est l’un des faits marquants de la fin du XXème siècle. Il est vain d’essayer d’endiguer le développement de ces réseaux : il importe au contraire d’y être présent de la façon la plus efficace possible, de façon à y prendre part et à l’influencer au lieu de se faire prendre de vitesse et de subir les modalités déjà arrêtées. [...] Dans le domaine AST [Art-Science-Technologie], ces possibilités ouvrent de fascinantes possibilités de création et de diffusion. (Risset, 1998 ; pp. 145-146)

Les informations déposées sur les réseaux informatiques sont accessibles par toutes les machines connectées via un environnement self-media[25], le World Wide Web — une des applications sur l’Internet, inventée entre 1989 et 1993[26] —, développé à l’aide de la technique de l’hypertexte qui correspond à un système d’organisation basé, d’une part, sur des liens actifs (hyperliens) entre des documents (pages, mots, images, etc.) permettant de naviguer d’un item à un autre, et, d’autre part, sur un langage commun de codage lisible et reproductible sur des logiciels appropriés (navigateurs).

Dans notre propos, il s’agit, en quelque sorte, de percevoir métaphoriquement nos navigations et parcours, nos contributions et participations, ainsi que nos constructions plus ou moins expertes (tels que la construction d’un site web, la customisation[27] et le réagencement d’un blog ou d’un wiki, ou encore notre opération d’associer et de combiner par nous-mêmes différentes fonctions dynamiques, etc.), comme un espace que nous modulons individuellement et ensemble. Ceci est repérable en termes de modulation temporelle (gestions des différentes dimensions d’occupation du temps et de réaction), de modulation spatiale (présences, localisations, ubiquité, etc.) et d’agencements ou d’agrégations d’artéfacts ; c’est-à-dire des traces et des contenus que nous déposons et inscrivons, « en réponse à » ou « en attente de réponse de ». Ces marqueurs déposés s’appellent en sociologie des traces stigmergiques[28].

Cet espace d’adresses (et vice-versa d’« écoutes ») définit une plasticité, ou plutôt dans notre cas, une musicalité, des coordinations et organisations, ainsi qu’une perméabilité, fondées sur le changement et le mouvement : le principe n’en est pas l’inertie ni la pérennité (matérielle), pourtant nos traces perdurent sur ces mémoires numériques, glanées et répertoriées presque instantanément par les moteurs de recherche. Bref, l’Internet nous permet de rétablir l’écoute, l’écriture, la lecture, le partage des intimités, etc. ainsi que toutes les associations possibles entre ces activités, comme un déploiement d’une condition et reconnaissance individuelles et d’un devenir ensemble, créant dès lors des écarts critiques vis-à-vis des grégarités intimées par les médias de masse. Il s’agit d’un milieu associé, au sens de Simondon, quel que soit son degré de technicité, simple (navigation) ou complexe (programmation).

La technique est notre milieu de vie. [...] Tout geste (du plus banal au plus rare) s’effectue dans un milieu technique ; or tout milieu technique comporte de la mémoire[29] ;

le saut à faire pour rejoindre une dimension musicale au regard des potentiels de programmation, de coopération et de circuitage n’est pas si grand : je module, je compose, j’improvise, je réponds, j’assemble, j’inscris, j’écoute, je filtre, je prépare[30], je mixe, etc., (le je peut facilement être remplacé dans la série précédente par un nous), et tout cela en interdépendance et interaction avec les autres acteurs, producteurs et lecteurs : nous orientons, nous infléchissons, ajustons, et modifions nos participations en fonction des sollicitations, des mouvements et des actions d’autrui[31]. En fait, nous nous adressons mutuellement des indications, des invites, des sollicitations, des appréciations que chacun nous interprétons et auxquelles nous nous adaptons et réagissons, à l’image d’un ensemble musicien qui improvise[32] et joue ; chacun se projette dans autrui, anticipe, prévoit le dialogue, se questionne et questionne, avance des distinctions. Tout ceci demande du temps, de réserver et de consacrer (de plus en plus) du temps à ces activités, occupations et pré-occupations, en permettant d’élever celles-ci au niveau d’un travail qualifié et à la production de formes et de contenus qui sont destinés à autrui. Ce travail de publication et de publicité de contenus, auparavant relayé par des structures professionnelles ordonnées, réparties et hiérarchisées dans des champs disciplinaires scindés comprenant des instances de sélection et des valeurs de notoriété et de réputation, se retrouve ici piloté par les auteurs et interprètes eux-mêmes (Benjamin, 1936 [1971]). Il peut ainsi aisément varier ou changer de statut au gré des objectifs et intentions des protagonistes. Il en découle l’émergence d’économies singulières, voire alternatives, de la gestion des espaces, des temps et des productions (même en termes financiers et de rétributions), qui, il faut le noter, naissant sur les réseaux, peuvent être ensuite reportées ou adaptées dans la vie sociale quotidienne. La production et la création se mettent à dialoguer avec les traditions qui les fondent (l’histoire de l’art par exemple) en ouvrant des perspectives nouvelles et audacieuses de participation, de contribution et de circulation — l’usage normé, normatif et habituel étant de plus en plus vu comme une calamité ou un frein, réduisant tout un ensemble de possibilités. Ces gestions menées délibérément par les internautes construisent ainsi une sorte de multivers, un ensemble (Internet, les réseaux) composé de fragments continuellement changeants, allant des grilles et réseaux de fonctions offertes (email, web, blog, etc.) qui sont maniés et adaptés, jusqu’à, pour les plus experts — auto-formés et enrichis par les échanges d’expériences et de savoirs avec d’autres internautes —, la fabrication, l’invention et la programmation d’instruments et de fonctions[33].

Arrêtons-nous quelques instants avec Michel de Certeau sur ces créations et fabrications (De Certeau, 1980 [1990])[34], parfois laissées anonymes, plus ou moins minuscules et la plupart du temps gratuites et données à d’autres, tactiques silencieuses et antidisciplines inventives et amicales (et en cela, polémiques), qui naissent dans un environnement médiatique, d’autant plus que celui-ci est encouragé à se conformer à un espace des consommations, donc des contrôles, sous l’emprise des industries. Pourtant, malgré cette ambivalence, les réseaux électroniques étendent notre quotidien, nos pratiques quotidiennes et sociales des petites fabriques. Ceci m’apparaît semblable, dans une certaine mesure, au temps d’invention et à l’espace des tactiques laissées au gré d’un instrumentiste qui peut décider de ses propres doigtés et de ses degrés d’interprétation et d’articulation de jeux et de claviatures, face à une partition, ou encore, dans les marges et terrains d’improvisation aménagés dans certaines musiques, c’est-à-dire dans les ornements et degrés de nuances, voire même d’instrumentation et d’arrangement, jusqu’à l’improvisation (qu’il faudrait qualifier de « contrôlée » car s’appuyant et se décidant sur des grilles et des orientations propres à chacun). Ces productions silencieuses (comme dans la lecture) guettent l’occasion ; elles ont même des manières de saisir l’occasion dans l’Internet (qui en offre de multiples : sites, blogs, forums, etc.) pour se développer dans un environnement qui les mémorise : ces apports sont inscrits[35], repris par d’autres, amendés et améliorés, corrigés, annotés, commentés, enregistrés, sujets à des scénarios, et créent des récits, des trajectoires et des savoirs, quelle que soit leur importance. Michel de Certeau évoque même « l’art subtil des locataires, des locuteurs, des lecteurs, des piétons » (De Certeau, 1980 [1990])[36], et si nous prolongeons : des interprètes (musiciens), des internautes, des extranautes, des lurkers[37], etc. qui font des espaces (en réseau) des lieux pratiqués, des moments produits. Les registres de producteurs vont des pratiquants aux fabricateurs, jusqu’aux associations et regroupements de fabriquants pour gérer ou animer collectivement un objet.








3. — Des circuits de participation et de production(Edit)


Embranchement 1 : Coopérations.

Je peux ici relater un exemple que j’ai pu accompagner pendant un temps donné lors de l’année 2004 : Autonomy : Freedom of Thought[38] est un roman de science-fiction publié en ligne sous licence libre au fur et à mesure de sa rédaction, par l’auteur américain Jean-Michel Smith (ingénieur-système, vivant et travaillant à Chicago, qui a initié en 2000 la « Free Media License »[39]). L’originalité de cette aventure est que l’auteur a choisi, volontairement ou non (mais le titre de son ouvrage indiquerait plutôt que oui), de se livrer à une publication continue sur Internet, sans solliciter les cadres traditionnels et conventionnels de l’édition. Une équipe de bénévoles, géographiquement répartie et basée sur le volontariat quelle que soit la provenance de ses membres, effectue la traduction française selon un dispositif exemplaire de coopération sur Internet, à l’aide de différents logiciels et fonctions qu’ils ont configurés pour ce « travail » (wiki[40], liste de diffusion, CVS Concurrent Version System[41], etc., tous étant des logiciels libres). Depuis lors, le texte intégral et évolutif est disponible en ligne pour les lecteurs, en langue anglophone par la voie de l’auteur, et en français sur le site de l’équipe de traduction. Cette équipe a pu ainsi élaborer en commun à la fois un travail de traduction et un cadre de coordination, dont on peut aisément imaginer la reproductibilité pour des traductions en d’autres langues de ce même texte. Ces coordinations délibérées sont fréquentes et très actives depuis plusieurs années sur Internet à propos de l’élaboration (voire la programmation) en commun de logiciels libres ou de parties de ceux-ci, ou encore de projets de contribution à un corpus mis en commun et disponible ensuite pour chacun, et j’ai pu participer de nombreuses fois, avec toujours autant de satisfaction, mesurée à la richesse de l’apport généré par les participations, à de tels groupes, soit en tant qu’initiateur ou participant. Depuis, il est à remarquer que ces sessions de programmation en collectif se sont développées aussi sous des formes événementielles, donnant lieu par exemple à des performances publiques de Live Coding (ou On-the-fly Programming, ou encore Interactive Programming[42]), entre concert improvisé ou parfois partie de jeu d’échecs, face à une audience, durant lesquelles les joueurs, souvent lors de joutes amicales et effrénées, écrivent le code en direct. Durant les années 80, le collectif The Hub[43] pratiquait également lors de concerts ce type d’improvisation informatique sur une configuration en réseau à laquelle les performeurs sur scène étaient tous reliés, interagissant les uns les autres ; nous pouvons aussi nous référer aux improvisations électroniques qui se sont développées antérieurement à cette date (David Tudor, John Cage, AMM, etc.)[44], même si ces structures de participation peuvent sembler plus éloignées. Aujourd’hui, plusieurs projets d’œuvres et de composition musicales en réseau sont menés par les compositeurs[45] ; ceux-ci explorent les conditions des ensembles instrumentaux distribués et de systèmes de jeux et d’écriture qu’elles engagent vis-à-vis d’un dispositif initial issu des formes concertantes et performatives : les places du public, de l’audience, de l’auditeur et des musiciens s’ajustent sur cette question de participation. Dans un tout autre registre, remarquons aussi les tournois d’improvisations d’écoute, Ipod Tournament ou Ipod Battle[46] (à la suite des DJ’s et VJ’s[47], et en quelque sorte, juke-box[48] des temps contemporains), durant lesquels chaque performeur improvise à tour de rôle avec ses playlists de mp3s, en réaction ou en ping-pong avec le passage précédent, créant ainsi des sets filés à la volée face à un public qui goûte ainsi à une programmation improvisée et performée d’écoutes[49].




Il faut voir les réseaux (Internet) comme un milieu collectif, associatif et coopératif entretenu par des circuits construits par ses acteurs[50]. En cela, je poursuis, de manière tout-à-fait modeste, les analyses passionnantes d’Howard S. Becker à propos de l’art comme activité — et de l’œuvre d’art comme production humaine coordonnée — (Becker, 1982 [1988]), en étendant celles-ci à une réflexion sur une musicalité sociale collective des réseaux électroniques, fondées, comme nous l’avons dit, sur la participation, l’interaction et la coopération[51] continue, mais ici, non seulement bâties sur la construction d’actions conjuguées vers un objectif commun (l’œuvre d’art chez Becker), mais aussi sur ce qui concerne les contenus même, i.e. ce qui s’écrit sur les réseaux (traces, empreintes) ou ce qui les traverse (flux), et sur les manières de les moduler, de les planifier et de les incorporer (à l’image des pratiques de captures, de montages et de mixages dans les jardins japonais, telles que le « shakkei »[52]). Tout ceci ne peut se dérouler qu’à l’aide d’un cadre déjà existant, d’une socialité préalable (voire une amicalité[53] et une urbanité[54]) qui se retrouve entretenue et maintenue par les internautes, et qu’il s’agit en parallèle de garantir (techniquement et juridiquement). Les organisations en ligne se basent sur des conventions et agréments (étiquettes[55], bienséances, règles de civilité et de courtoisie), approuvés la plupart du temps sans explicitation par chacun des participants, occasionnels ou assidus, dans une adaptation quasi-parfaite avec les environnements techniques — tout en remettant à jour parfois des conventionnements juridiques liés à la production et la circulation de contenus, ou en les questionnant de manière pertinente quant à leur validité et effet —, l’ensemble faisant corps.

Ceci n’est pas sans rappeler les observations avancées par Marshall McLuhan, à propos d’une corporéalité nouvelle, suggérant que la technologie ne peut rien sans le corps (qu’elle peut en retour influencer et modifier)[56], et poursuivies par George Grant, lorsqu’il affirme que

la technique, c’est nous[57],

cette dernière n’étant pas simplement qu’un prolongement de notre corps, et que « chaque technologie est sociale avant d’être technique ».

Il s’agit de circuler, faire circuler, mettre en circulation, mettre en relation, etc., bref, de mettre en circuit ; et non de couper, d’interrupter, de détruire les liens et les potentiels d’émancipation et de réalisation, et de court-circuiter. De même, la question pertinente posée vis-à-vis de la musique à l’ère de son industrie (marquée par l’accroissement des rentes et profits à l’encontre de la création), que veut dire écouter la musique sans savoir en faire[58], — question qui est absente pour l’écriture et la lecture, et le langage en général, et qui dévoile la valorisation, voire la religion, de la consommation aux dépens de l’appropriation et de la création —, intime d’interroger ce que nous pourrions nommer « un devenir programmer » (dans le sens de fabriquer), et « un devenir artiste » (en puissance, en acte). Nous pouvons vérifier dans l’histoire de la musique : avant les techniques de diffusion généralisée de la musique, nous la jouions, la lisions, et l’interprétions (entre amis, en famille, en fanfare, à l’école, etc.) ; la réception et l’écoute en masse de la musique par la radio et les disques est une histoire très récente (moins de cent ans) et nous abandonne à une passivité d’auditeur et une consommation de la musique comme une marchandise. Le fait est que nous retrouvons via les technologies numériques le potentiel de faire et de fabriquer pour autrui : fabriquer des écoutes (DJs, Ipods, audio blogs, etc.), manipuler des écoutes (via nos machines portables équipées de fonctions d’enregistrement ambulatoire, et d’édition, comme par exemple les freewares disponibles sur les smartphones dont l’icône est le Iphone ; via l’accès de plus en plus facilité à des machines / instruments héritières des échantillonneurs, des synthétiseurs, et des caméras de cinéma), etc. ; et si nous élargissons notre propos au-delà du domaine musical et sonore, il serait sans doute pas difficile de constater que nous n’avons certainement jamais autant écrit, consulté et lu (depuis 20 ou 30 ans) depuis l’apparition de l’Internet. Les technologies de réseau sont structurellement participatives et circuitées, et peuvent être le creuset d’un renouveau des espaces critiques, et de relais d’expériences et d’énonciations.

Suivons à ce sujet Bernard Stiegler :

La question de la participation est primordiale parce qu’une œuvre sans public ne peut pas être une œuvre, tandis qu’un public sans œuvre ne peut pas se constituer : c’est cette relation qui œuvre, c’est-à-dire qui ouvre. [...] Pour que tout cela se constitue, il faut qu’il y ait un circuit et une participation — la relation entre œuvre et public constituant une relation transductive, et le circuit qui s’y forme étant un ensemble de telles relations, mais travaillées par une différance qui est le « temps » au cours duquel, donc, l’œuvre ouvre son public. (Stiegler, 2005. p. 39)

Et plus loin :

[E]n tant que participation au plus haut, il faut définir le sens par un circuit : il est ce qui circule, est ce qui s’ex-prime, s’extériorise, s’exclame [...]. (Stiegler, 2005. p. 64)

Il faut entendre que le circuit est ouvert, constitué d’inputs et d’outputs, et non pas fermé, bouclé sur lui-même, limité à la captation (le récepteur radio et TV) comme le remarque Christophe Kihm :

D’un côté du circuit, le Marché : de l’autre, les vivants en consommateurs [capturés]. Le Marché, ainsi placé, est une instance de mortification du vivant. (Kihm, 2006)

Nous y reviendrons.

Sur un autre point, il s’agit aussi d’observer la convergence des configurations techniques entre professionnels et amateurs. Celle-ci autorise une reconnaissance et une identification des pratiques et tourne le dos à la stratégie de l’exclusion de l’accès aux moyens (techniques, économiques, etc.) des pyrotechnies spectaculaires[59] comme cela est le cas dans les industries de la culture.

Que dire du voisinage et de la contigüité d’un film amateur tourné sur un smartphone[60] (prêt à circuler sur YouTube), et du film Nocturnes pour le roi de Rome (2006) de Jean-Charles Fitoussi[61] lui-aussi tourné sur un appareil similaire (à part la projection finale, se passant pour ce dernier dans des salles de cinéma, mais toutefois, de manière analogue, il est possible de montrer chez soi à l’aide d’un vidéo-projecteur ou tout simplement d’un écran plasma, son propre film, sur un dispositif voisin de celui du cinéma (telle une réplique : le home-cinéma) rassemblant auteur et public) ?[62] ; que dire aussi des logiciels en libre accès de VJing (ou Vjaying) que nous pouvons utiliser pour agrémenter nos écoutes de mp3s et dont nous pouvons perfectionner la pratique en créant des réalisations originales et sophistiquées de récits d’images vidéo et de synthèse, et, d’un autre côté, du dispositif cinématographique développé par Peter Greenaway pour réaliser un cinéma en direct dont les scènes et les plans sont pilotables et contrôlables par l’auteur pendant la séance publique (Tulse Luper Suitcases VJ performance, 2005)[63] ?; Il en est de même pour la conception des sites web, de la participation à des forums et des mailing-lists, etc.

La convergence des configurations techniques numériques et en réseau rejoint celle des instrumentariums musicaux : toutes proportions gardées, le piano de Beethoven n’est-il pas reconnaissable sous mes mains face au piano ou clavier que j’ai à domicile, et, en quelque sorte, l’égal de celui de Glenn Gould, face à la même sonate de Ludwig Van ? la guitare de tel guitar leader (ou hero) ou soliste de tel groupe n’est-elle pas reconnaissable sous mes doigtés lorsque je joue et interprète le même morceau ? etc. De même, du milieu des années 80 jusqu’à il y a peu, l’élaboration de partitions et de musiques MIDI interprétées par les sampleurs et les synthétiseurs (et héritières des rouleaux des pianos mécaniques) n’était-elle pas une sorte de pratique musicale de l’orchestre et de l’instrumentation — à un niveau modéré certes —, dans le prolongement de la musique orchestrale et de la composition instrumentale ?




Embranchement 2 : Un Exemple.

En 2001 et 2002, j’ai fait partie d’une équipe missionnée par le Ministère de la Culture et de la Communication, et coordonnée par Serge Pouts-Lajus, dont l’objet d’enquête était Les pratiques musicales en amateur liées à l’informatique[64]. La mission de cette équipe de travail était de proposer un ensemble de préconisations et d’observations pour de futures orientations des politiques publiques de financement auprès d’associations et plus précisément des Espaces Cultures Multimedia[65], lieux de formation et de diffusion des pratiques numériques amateurs (mis en place à partir de 1997 dans le cadre du programme d'action gouvernementale pour préparer l'entrée de la France dans la société de l'information). Les observations que nous avons pu mener ont mis à jour des facettes étonnantes des activités en amateur à domicile, notamment quant à la place prise par la production de création dans un environnement personnel informatique d’autant plus si celui-ci est connecté à l’Internet : il s’agit presque toujours de faire sa propre musique[66]. L’importance des pratiques d’arrangement (à partir de modèles musicaux et de musiques existantes qu’il s’agit de sampler, de remanier, d’orchestrer et en quelque sorte de (re-)composer quel que soit le degré de technicité et d’originalité qui y est engagé) et d’écoute (comme une manière d’interpréter et par ailleurs de poser des évaluations sur ce qui est reçu et émis) a été largement remarquée. Ceci a donné lieu incidemment au complément du titre de la mission — Composer sur son ordinateur — pour bien marquer l’activité d’excès et de (ré)appropriation engagée vis-à-vis des techniques mais aussi vis-à-vis des champs culturels référents : le développement des pratiques de composition (ou de création) et des pratiques d’écoute. Les éléments constitutifs de ces pratiques connectées et malgré tout circulantes (car elles ne sont pas autocentrées et sont destinées à être mises à disposition d’autres internautes musiciens et mélomanes) révèlent différents vecteurs : la construction d’instruments (ou de configuration instrumentale) de composition (hardware et softwares — la plupart étant open source, freewares ou encore sharewares / gratuiciels et partagiciels) ; l’auto-formation et la co-formation via des forums de partages d’expériences ; le croisement remarqué des trajectoires AmPro et ProAm (i.e., d’une part, des amateurs en devenir professionnel ou acquérant des conditions matérielles similaires, et des professionnels dont les conditions de paupérisation les amènent à un statut social et économique équivalent ou pouvant se référer à celui des amateurs, et d’autre part, à la concomitance non concurrentielle des deux catégories dans certains projets artistiques, comme par exemple au sein du projet Collective JukeBox) ; la constitution évolutive d’expertises et de compétences à la fois individuelles et circulant dans des groupes structurés ; la participation à des formes structurantes de partage et de circulation des (auto-)productions (comme moteurs d’une certaine émancipation) ; et enfin, le développement des techniques de téléchargement et de streaming pour échanger, émettre et recevoir. Ces éléments ne sont pas sans rappeler les pratiques des radio amateurs durant les années 20 au début du XXème siècle. Au vu de l’explosion de l’industrie informatique et musicale et de modes d’utilisation et d’usage que l’on peut redouter être passifs et consommatoires, il est remarquable de voir que des pratiques du faire et de l’invention sont plutôt générées et portées par ces environnements qui en proposent l’occasion, tout en gardant malgré tout et, la plupart du temps, un principe qui forme un horizon même s’il n’est pas explicité de manière directe : celui de la notoriété (même si celle-ci est envisagée à une échelle relative de manière lucide et correspond en premier lieu à des reconnaissances par les pairs engagés dans une même dynamique, via des apports significatifs à la communauté ou tout simplement à ses interlocuteurs les plus proches tout en étant, via les réseaux, à distance, et sans orienter vers des rétentions stratégiques). Ces pratiques, tout en étant menées en amateur, ne sont plus de loisir ou considérées comme un hobby (au vu déjà, d’une part, des financements personnels engagés dans l’achat de matériel, et, d’autre part, par la somme exceptionnelle de temps passé à cette activité); elles amplifient et constituent un travail et ainsi requalifient des fabrications, qui semblent ou restent non visibles si nous conservons les mêmes registres et structures d’observation traditionnelle. Il y a une inter-dépendance et une inter-activité entre ceux qui produisent et ceux qui reçoivent (à tour de rôle) : il y a du feedback. Lors de cette enquête, je me suis consacré ainsi à des observations menées sur les réseaux et sur les pratiques numériques musicales liées à la diffusion et à la création en réseau. Mes remarques, malheureusement minorées à l’époque, allaient dans le sens de préférer une politique douce basée sur un accompagnement des dynamiques observées, et d’un renforcement de celui-ci, par une facilitation volontaire de l’accès à l’Internet haut débit (en favorisant et délivrant l’accès gratuit et la connexion à très faible coût), pour soutenir, d’une part, les activités en réseau de type participatif (forums, échanges d’expériences et auto-formations, etc.) plutôt que des structures matérielles de formation semblant désajustées par rapport au mouvement en cours et devant se repositionner sur des offres et sollicitations précises (comme, par exemple, la mise à disposition de lieux d’écoute, donc d’espaces acoustiques, etc.), et, d’autre part, le développement des licences libres et l’utilisation des musiques non-libres de droit par les amateurs, c’est-à-dire de considérer des pratiques de ces droits. Ma réflexion de l’époque, sans doute trop franc-tireur (Howard S. Becker, 1982 [1988][67]), n’avait pas trouvé un écho favorable : la prudence était de ne pas aller à l’encontre des régulations juridiques qui depuis ont suivi le pas des industries culturelles et musicales.

Dans son rapport rédigé en 1998, Jean-Claude Risset tout en éclairant les potentiels formidables de la création et de la diffusion sur Internet, énonçait dès cette époque quelques prudences à considérer :

L’accès – « libre » ou commercial – par le réseau pose des problèmes [...] : sur le vide « juridique » ou au moins la facilité d’échapper aux lois d’un pays dans un espace non pas privé et restreint, mais public et planétaire [...] ; sur la possibilité de « préserver l’identité et la propriété intellectuelle et artistique », qui courent de grands risques, et sur les moyens d’éviter les piratages abusifs, les plagiats, les appropriations indues [...] ; sur le fait que ces possibilités considérables vont soit converger vers des points forts, soit donner lieu à une « poussière de pratiques » sans synergie [...]. [I]l faut s’approprier les nouveaux outils technologiques, développer une pratique et une réflexion critique. L’usage de ces outils devrait être médiat : l’accès immédiat est un miroir aux alouettes. [...] ; sur le fait que la démocratisation des moyens de production artistique n’entraîne pas nécessairement la possibilité pour un individu d’être vu, entendu, reconnu dans les milieux artistiques en dehors de l’intervention de centres ou de circuits ayant une masse critique et une reconnaissance. [...] La recherche artistique doit proposer [aux utilisateurs et face aux pauvres menus offerts par le commerce] des possibilités élaborées et restaurer une pratique artistique exigeante. [...] Même si l’artiste sur réseau dispose d’une station de travail personnelle, ses ressources et sa pratique sont tributaires d’une réflexion et d’un travail collectif qui doivent se poursuivre. On ne peut monnayer indéfiniment un même corpus figé de savoirs et de savoir-faire : il faut le développer et l’adapter aux problèmes nouveaux, aux conditions nouvelles ; il faut aussi travailler pour assurer une pérennité à des œuvres qui dépendent de dispositifs qui, pour des raisons commerciales, ne restent pas longtemps sur le marché. [...] Le risque est grand de voir, sous couvert d’éclectisme apparent – voire d’indifférence esthétique – la liberté de choix du public sévèrement menacée par la tyrannie de l’indice d’écoute et de la rentabilité immédiate[68] [...]. Il importe d’observer avec la plus grande attention les pratiques nouvelles que suscitent les réseaux, et de faire le maximum pour que l’évolution ne soit pas portée par des impératifs purement commerciaux. Il faut être présent dans les nouveaux médias, les nouveaux supports, les nouveaux réseaux : les enjeux culturels sont importants, et les facteurs culturels jouent un rôle très important dans la suprématie de tel ou tel dispositif. (Risset, 1998 ; pp. 146-148)

Sans proposer de réponses prématurées, Jean-Claude Risset souligne ici les problèmes qui resteront récurrents sur la décennie suivante et qui seront le plus souvent utilisés, de manière ambivalente — car un problème peut être aussi une source d’interrogation et de génération de pratiques et d’espaces critiques permettant une « humanité » et une « urbanité » plus consciente) — pour promouvoir une régulation restrictive. Pourtant…








4. — « Faire de la musique ensemble »(Edit)

Dans son article « La Coupe, l’Écran, la Trame », Élie During évoque le devenir de l’auditeur-créateur (voire de l’auditeur-performeur), notion suggérée par Glenn Gould[69], capable de réaliser des interprétations d’écoute (des arrangements selon un autre article de Peter Szendy) de ses œuvres favorites à partir de configurations techniques à domicile :

L’auditeur créateur serait ainsi l’aboutissement idéal — et seulement idéal — d’un nouveau régime de production et de réception de la musique [; tout en étant] un des mythes les plus efficaces de l’industrie de musique de masse. [...] La description la plus intéressante de l’auditeur créateur est celle qui insiste sur le fait qu’il participe lui-même activement à la transformation de la musique en une expérience « environnementale » d’un genre nouveau, qui est proprement une expérience esthétique. (During, 2004)

Au-delà de la « manipulation des cadrans et des boutons » (G. Gould) et du « pilotage » (Kihm, 2004), il semble important de ne pas ignorer l’intervention interprétative de l’auditeur / internaute, de surcroît producteur de contenus sur Internet, en tant qu’acte créatif — et par là, de souligner que son auteur devient un « créateur en droit » (During, 2004) —, que cet acte soit de l’ordre d’un billet sur un blog ou d’une élaboration d’un élément du dispositif Internet (programmation d’un logiciel dédié, développement d’une configuration spécifique, etc.). La pratique des réseaux est acquise par tâtonnements et expérimentations successives (en solitaire, et souvent en demandant conseils et astuces à d’autres internautes à distance), amenant au fur et à mesure à une aisance et une expertise dans ses propres modes d’intervention, pour décider de la pertinence de ses inserts et de ses présences.

Ces interventions, parcours et présences s’appuient, d’une part, sur l’organisation de circuits d’items, de portions d’espaces et de temps, accordée sur notre volonté d’inscription et d’attention, et, d’autre part, sur des moyens d’engager le corps, que nous considérerons ici « musicien »[70], au cœur de dispositifs intrumentaux, dans une relation constituante avec nos machines. Ceci implique notre insertion et notre participation au sein de cet espace réticulaire. Amplifiés par les fonctions structurelles et structurantes de participation, d’attention et d’association qui se développent aujourd’hui sur les réseaux et qui nous permettent, par exemple, à partir de nos machines portables et à tout moment, d’écrire sur un blog, de commenter un texte ou un autre commentaire, d’organiser une playlist, ou encore d’échanger à plusieurs oralement, scripturalement et visuellement de façon simultanée sur Skype ou dans Second Life, d’émettre ou de recevoir des streams et des missives, les réseaux sont devenus des circuits de flux que nous réorganisons de manière permanente, individuellement et collectivement. Ces intrications de flux d’espaces et de temps, déclenchées par nos présences électroniques, sont de plus en plus « adressées », car motivées sur des participations et des co-participations aux expériences des autres (et aux partages des siennes) et à de multiples dimensions communes dans un présent continuellement variant et quasi-polyphonique[71]. Pris dans ce moment critique, le destinateur[72] et le destinataire sont bien dans la « solitude » nécessaire à un acte producteur (During, 2004) et échappent ainsi à la grégarité des mouvements de consommation.

La première image qui me vient en tête provient d’un exemple donné par Alfred Schütz dans son ouvrage Faire de la musique ensemble[73] ; elle est celle d’un groupe d’interprètes et d’auditeurs ensemble, s’orientant les uns les autres à partir d’indices et de réactions d’interprétation au long d’un temps musical. C’est le fait de tout événement concertant. À la différence que dans notre cas, il ne s’agit pas pour nous, internautes, d’être au service d’un « texte » (d’une partition) mais de considérer nos participations en réseau ou sur les réseaux (blogs, Skype, etc.) comme des cadres d’improvisation voire de co-composition. Et cela à partir, non pas d’une partition préalable à exécuter, mais d’instruments, à la fois émetteurs et récepteurs, c’est-à-dire d’interfaces de circuits que sont nos logiciels qui nous permettent d’être et d’agir en réseau, et de moduler des flux entre nos dimensions premières (l’espace dans lequel je suis, et le temps que j’occupe[74]) et celles dites secondes (pour reprendre par analogie le qualificatif de Second Life). Pourtant cette hybridation ou innervation est souvent négligée pour ne voir qu’une exclusion des premières pour une focalisation sur les secondes, vécues alors comme des effets d’isolement ou de court-circuit de notre présent.

Que produisent nos corps appareillés et nos environnements instrumentés, hypothèses posées ici ? Christophe Kihm donne une réponse à propos des modalités d’action sur des dispositifs en prenant l’exemple d’une des formes actuelles du « platinisme » (turntablism, pratiques musicales utilisant des platines disques) :

Le dispositif technique du platinisme n’est [...] pas une structure linéaire, ni même une arborescence, mais un réseau où des éléments sont connectés, câblés les uns aux autres et qui dessinent, par leurs configurations, des agencements différents. Dans le dispositif, les agencements d’énonciation font partie des agencements machiniques (les manipulations sont toujours des interventions sur ou dans les machines). [...] Il faut comprendre ce dispositif comme un montage mécanique, assemblage de plusieurs objets ou éléments dont l’agencement crée une dynamique fonctionnelle ; s’incrire dans le dispositif, en jouer, est une activité plus proche du pilotage ou de la conduite (comme celles d’un avion ou d’une automobile) que du jeu instrumental proprement dit — au sens où on l’entend en tout cas pour des instruments acoustiques classiques. On s’inscrit donc dans le dispositif comme on pilote un véhicule — on joue sur des accélérations et des ralentissements de la vitesse de défilement du disque (en modifiant des réglages, jeu sur le pitch, ou en intervenant manuellement sur le mouvement d’entraînement du plateau jusqu’à sa possible interruption) ; on répartit des sources sonores, que l’on superpose, que l’on enchaîne, que l’on interrompt... ; bref, on alimente, on contrôle et on modifie les paramètres du dispositif, et l’on active ainsi certains de ses régimes. [...] On peut [...] appréhender les conditions selon lesquelles un dispositif sonore devient un instrument de musique. La réponse à cette question, à l’évidence, et puisque tout corps sonore est potentiellement un instrument de musique (cela, l’esthétique l’a clairement déterminé depuis le premier romantisme), est suspendue à la prise en compte des usages et donc des interventions opérées dans des configurations techniques données. [...] [C]’est en ayant exclusivement recours aux moyens, aux techniques, et aux matériaux de l’industrie culturelle qu’une nouvelle pratique musicale s’est développée (faut-il le préciser, à rebours de l’industrie culturelle, tout au moins, dans un premier temps). (Kihm, 2004)

Il faut revenir ici à l’acte interprétatif (noté par Élie During) et à la notion de fabriquants que nous avons prolongée de la lecture de Michel de Certeau, ainsi qu’aux conditions auxquelles ces deux notions sont subordonnées, pour dépasser le stade de la simple activation d’un dispositif — tel que le relève Christophe Kihm — fût-il en réseau, et de surcroît participatif[75].




Embranchement 3 : le Monde en Réseau.

Notre monde est aujourd’hui en réseau ; nos environnements deviennent interconnectés et interconnectables, requalifiant nos périphéries et nos proximités, tout autant que nos distances et éloignements, au travers de tous types de dispositifs communicants[76]. Nos perceptions spatiales et temporelles se retrouvent de plus en plus appareillées après l’apparition des systèmes et des organes télégraphiques, téléphoniques, phonographiques et radiophoniques depuis près de 150 ans. Les supports d’écoute, de vision et d’écriture se sont répandus au fur et à mesure de cette imprégnation, aujourd’hui majoritairement de nature numérique, rendant nos activités interopérables et coïncidantes, et augmentant nos registres de perception et d’action[77]. Ces interopérabilités et ces trames invisibles semblent innerver, tels des circuits, nos « lieux » de présence et d’attention, ainsi que nos capacités d’association : une illustration en est la panoplie Web de nos logiciels de lecture, d’écoute et de vue à distance, en direct et en différé, et l’attirail d’interconnexion mobile et simultanée mis à notre disposition. Nous sommes à la fois acousmates[78] et microphones[79], en tout lieu et tout moment, hypothétiquement récepteur et émetteur. Ce qui était envisagé, prototypé voire testé il y a près d’un siècle est aujourd’hui réalisé[80].



[Métaphores]

Une variété de métaphores sont attribuées aux réseaux, quant à sa nature ou encore aux formes d’activités qui peuvent s’y déployer : nous sommes sur les autoroutes électroniques (Ralph Lee Smith, 1970), dans la nation réseau (« the Network Nation », Starr Roxanne Hiltz & Murray Turoff, 1978), ou bien dans les branches ou bras et tentacules d’une pieuvre ou encore d’un poulpe (Apo33, 2005[81]), plus loin pris dans un filet (Norbert Elias, 1939 ; repris par Lucien Sfez, 1994 ; en anglo-américain : « Net »), le navigateur (« browser ») naviguant sur une mer des objets (Diderot, 1750) ou butinant, furetant, explorant (« Explorer ») dans le « jardin planétaire » ou bien dans des gisements de données, si ce n’est un village global (MacLuhan, 1967) ou une toile d’araignée (ou Toile tout court ; « SpiderNet », Duke University, env. 1980 ; « Web » et « weaving the Web », tisser la toile, selon Tim Berners-Lee & Roger Cailliau, 1990), avec ses tisserands qui tissent, entrelacent avec science (« guipologie » et « guipographie »[82], « webology ») et art (« net art », « art-web ») ; un autre métapheur animal, le gopher (rongeur d’Amérique du Nord qui creuse des tunnels dans le sol, avec un jeu de mots avec « to go for information », Univ. Of Minnesota, 1991[83]), fouille un labyrinthe (Jacques Attali, 1995), ou bien, est-ce une matrice (« matrix », John Quatterman, 1990), un cyberespace (William Gibson, 1984) ou encore un hyperespace (espace à n dimensions), multivers et disque-monde (« discworld », Terry Pratchett, 1981) ; les internautes, infonautes et cybernautes participent à la noosphère (Teilhard de Chardin, 1938 ; Vladimir Vernadsky, 1926) et à la communauté virtuelle (Howard Rheingold, 1993), entre des icônes de maisons (home page) et d’enveloppes (contact), et des modèles de structures : fourmilière, hommilière, et essaims (en vue de pollinisation) jusqu’aux siphonophores[84] (selon Dominique Autié).

Celles-ci font écho aux métaphores utilisées pour les transports de sons à distance, enregistreurs, musiciens et musiques en réseau : les sons capturés et transportés d’un lieu à un autre par des éponges (Charles Sorel, 1632), et des paroles gelées (Mandeville, 1356 ; Balthasar de Castillon, 1528 ; Rabelais, 1552) — en ayant soin de bien choisir la saison —, ou encore dans une canne de bambou (légende de Chine) et conduits et tuyaux (Francis Bacon, 1627[85]); il s’agit aussi d’inventer des interfaces tel que ce globe tissé de canaux imperceptibles (Tiphaigne de la Roche, 1760[86]), et ce clavier ou orgue à microphones en multiplex, chaque touche déclenchant le fonctionnement de microphones distants autour de la planète, l’ensemble jouant la symphonie du monde (« Le Roi-Lune », Apollinaire, 1916), ou de les substituer par un cortège de machines et appareils inventés dont le téléchromophotophonotétroscope imaginé par Didier de Chousy dans « Ignis » (1883) et des capteurs microphoniques à distance, comme ceux installés par Télek (« Le Château des Carpathes », Jules Verne, 1892) et le téléphonoscope reliant la Terre à la planète Mars (Camille Flammarion, 1894), ou bien encore les concerts en réseau par le pianiste Pianowski jouant à Moscou sur des pianos à distance situés dans différentes salles de concert autour du globe (« Une Ville Idéale », Jules Verne, 1875[87]), et finalement ceux psychokinétiques de Richard Kongrosian (Philip K. Dick, 1963). Que de grilles et réseaux imaginés et imaginaires pour conduire et construire des circuits et activer des connexions, à ouvrir puis à fermer, etc., de lieu en lieu, de contextes en contextes, d’espaces acoustiques en espaces acoustiques, de flux en flux,...



[Dislocations - Écholocations]

Ces circuits dont nous disposons et que nous activons, nous connectent, ou inter-connectent, à des espaces au-delà de notre proprioperception[88]. Pourtant, il nous faudrait relire attentivement Paul Valéry lorsqu’il note en 1937 l’opposition de l’homme mobile à l’homme enraciné :

Un monde transformé par l’esprit n’offre plus à l’esprit les mêmes perspectives et les directions que jadis ; il lui impose des problèmes entièrement nouveaux, des énigmes innombrables. [...] Après votre dîner, et dans le même instant de votre perception ou de votre durée, vous pouvez être par l’oreille à New York (et bientôt, par la vue), tandis que votre cigarette fume et se consume à Paris. Au sens propre du terme, c’est là une dislocation, qui ne sera pas sans conséquence. (Valéry, 1937 [1945])

Nous pourrions même ajouter en restant dans l’ordre descriptif des simultanéités[89], qu’en écoutant New York et fumant à Paris, vous pouvez aujourd’hui aussi tout à la fois envoyer un message à un destinataire à Dakar ou « twitter » à votre groupe d’abonnés et être en communication audio-visuelle par conférence Skype avec plusieurs correspondants distribués dans plusieurs lieux (à Medellin et à Sollefteå ou à Montréal) pour une réunion de travail ou pour une rencontre familiale à distance[90], ou encore participer à un blog et constituer une playlist sur un aggrégateur audio pour suggérer des écoutes à d’autres auditeurs hypothétiques. Ce que signale Paul Valéry est la mesure selon laquelle nos actions et nos productions sont affectées lorsqu’on procède, je le cite à nouveau,

sans obstacles dans la voie des grandes vitesses et des déplacements constants, et des propagations presque instantanées. (Valéry, 1937 [1945])

En interrogeant cette célérité et cette facilitation d’actions de présence (et de présences d’action), qui nous « disloquent », distribués simultanément en plusieurs lieux et moments, nous est-il possible d’adopter un rythme autre, ralenti, voire arrêté ou variant inégalement[91], jusqu’à des allers-retours et des détours, des suspensions, bref, un temps skolaïque[92], dévoilant notre capacité individuelle à « interpréter » et notre appétence à participer à un commun ?










  1. L’organologie est la science qui a pour objet l’étude des instruments de musique. Voir http://www.crlm.paris4.sorbonne.fr/organologie/ (dernière consultation le 6 avril 2010). Notre essai veut donner une échelle élargie à celle-ci en proposant une extension de son étude aux pratiques en réseau vues comme des pratiques instrumentales. Ceci entre en résonance avec l’organologie générale décrite par Bernard Stiegler; cette dernière « expliciterait les interfaces et les interférences - y compris comme apories - entre organes des sens, organes physiologiques, organes techniques et organisations sociales au sein desquels se forment, se transmettent et se transforment les jugements esthétiques » (In Action Spécifique — Esthétique et « Organologie Générale », coordonné par Fabrice Bertrand, document de présentation Ircam / CNRS, 2006, p. 1). Voir http://recherche.ircam.fr/projects/artistic//as1.html (dernière consultation le 18 avril 2010). Voir aussi : L’Esthétique comme arme (Stiegler, Bernard. 2003a), disponible à http://www.tribunes.com/tribune/alliage/53-54/Stiegler.htm (dernière consultation le 18 avril 2010). De notre côté, nous positionnons des hypothèses d’un point de vue musical. Nous retrouverons plus loin dans le texte d’autres approches et caractères liés à l’organologie.
  2. Cette question a été l’objet de l’ouvrage que j’ai publié avec Silvia Argüello en 2005 (Joy & Argüello (Lib_), 2005).
  3. Selon Jean-François Lyotard et Thierry Chaput dans l’introduction du catalogue Les Immatériaux – Épreuves d’Écriture : « Nous voulions ainsi créer un atelier des divergences et non, comme c’est le cas dans un dictionnaire (ou un catalogue), un musée des consensus. Il fallait que l’atelier des divergences devînt un laboratoire des différends. » (Lyotard, Jean-François & Chaput, Thierry. 1985). Nous avions repris cet intitulé, Paul Devautour et moi-même, pour la réalisation de l’e-exposition Lascaux2 au centre d’art de la Villa Arson à Nice en 1999: accessible à http://lascaux2.info/
  4. « La participation nomme la relation d’un individu à son milieu ». Voir http://www.arsindustrialis.org/participation et à http://www.arsindustrialis.org/milieu
  5. Je reprends ici une expression de Jean-Charles Fitoussi, cinéaste, glanée sur la radio. La distinction de l’œuvre disposée au réel par rapport à l’œuvre traditionnelle fictionnelle provient également de réflexions autour du Cinéma de l’Immobilité (à la suite de Ludovic Cortade).
  6. Littéralement : attention profonde. « Deep attention, the cognitive style traditionally associated with the humanities, is characterized by concentrating on a single object for long periods (say, a novel by Dickens), ignoring outside stimuli while so engaged, preferring a single information stream, and having a high tolerance for long focus times. ... Deep attention is superb for solving complex problems represented in a single medium, but it comes at the price of environmental alertness and flexibility of response. ... In an evolutionary context, hyper attention no doubt developed first; deep attention is a relative luxury requiring group cooperation to create a secure environment in which one does not have constantly to be alert to impending dangers. Developed societies, of course, have long been able to create the kind of environments conducive to deep attention. » (Hayles, Katherine. (2007). Hyper and Deep Attention : the Generational Divide in Cognitive modes. In Profession 2007, (pp. 187–199). New York: MLA Modern Language Association Journals). Accessible à http://media08.wordpress.com/2008/01/17/my-article-on-hyper-and-deep-attention/. « Le concept d’attention est à prendre ici en plusieurs sens : Stiegler parle à la fois d’attention psychique et d’attention sociale, et fait entendre, parfois successivement, parfois simultanément, le sens perceptif ou cognitif (« être attentif ») et le sens pratique ou éthique (« faire attention », prendre soin). » (Gautier, Julien & Vergne, Guillaume. (2008). Bernard Stiegler - lecture de "Prendre soin", à propos de Prendre soin, de la jeunesse et des générations, (Stiegler, 2008). Accessible à http://skhole.fr/lecture-de-prendre-soin-de-bernard-stiegler .
  7. (Bianchini, 2000). Accessible à http://www.dispotheque.org/txt/essai02.htm. Cette analogie renvoie également à la notion de pharmakon : « pour Bernard Stiegler, toute technique, originairement, est ambivalente comme un pharmakon (un médicament, en grec), à la fois remède et poison ». (Ibid. Gautier, Julien & Vergne, Guillaume. (2008); et (Stiegler, 2008. p. 157))
  8. « Le XVIIIème siècle a été le grand moment du développement des outils et des instruments, si l’on entend par « outil » l’objet technique qui permet de prolonger et d’armer le corps pour accomplir un geste, et par « instrument » l’objet technique qui permet de prolonger et d’adapter le corps pour obtenir une meilleure perception ; l’instrument est outil de perception. Certains objets techniques sont à la fois des outils et des instruments, mais on peut les dénommer outils ou instruments selon la prédominance de la fonction active ou de la fonction perceptive […]. » (Simondon,1958. pp. 114-115). Du point de vue de l’usage musical, nous pouvons relever cette définition issue d’une synthèse d’une enquête menée lors des Journées d’Informatique Musicale (JIM) qui se sont déroulées à Grenoble en avril 2009: « Un instrument, c’est quelque chose dont on sait “jouer”. Ce qui pose la question : qu'est-ce que “jouer” ? C'est faire de la musique pour qu'elle soit entendue par l'auditeur ». (Cité dans: Cance, Genevois & Dubois, 2009). Et un peu plus loin dans le même article: « Considering computer music practices through linguistic analyses of discourses, it appears that “instrument” does not actually refer to a device (hardware and software) but rather qualifies its interaction with users (musician, designer, etc.). Thereby it links the instrumentality to the emergence of an “intangible” repertory of gestures, situations, repertoires, possibly shared. Eventually, it points out that this immaterial part is at least as important as the physical one » (Cance, Genevois & Dubois, 2009).
  9. Cette question est au cœur d’un débat actuel: « L’omniprésence de l’électronique, de l’informatique, d’Internet dans le monde musical questionne les rapports entre l’homme et la machine. Dans quelle mesure ces technologies de la communication participent à la création et dans quelles mesures elles peuvent être considérées comme des instruments ? […] Si les machines et autres artefacts sont au cœur des problématiques des sciences de l’information et de la communication, leur rapport à la musique et au son demeure un sujet peu étudié. […] [L]es « medias studies » anglo-saxonnes proposent une littérature plus abondante (de Simon Frith à Philipp Tagg en passant par Michael Bull ou encore Richard Middleton), traitant des articulations entre medium, processus de création et d’appropriation, tout en faisant de la musique un véritable objet d’analyse. […] Comme toujours dans l’histoire des machines « à communiquer », leur existence est liée aux processus d’appropriation et de réappropriation à la fois physique et symbolique débouchant sur des modalités d’usages soit définies par le constructeur et/ou l’inventeur, soit détournées et redéfinies par l’usager lui même ». (Rouzé & Déon, 2009)
  10. Voir http://cim09.lam.jussieu.fr/CIM09-en/Proceedings_files/49A-Lemouton&al_v03.pdf et http://cim09.lam.jussieu.fr/CIM09-en/Proceedings_files/21A-Cance&al.pdf .
  11. « Dans cette nouvelle “organologie de nos oreilles”, il devient plus difficile que jamais de distinguer entre “l’organe” et “l’instrument”. Aussi, selon l’étymologie grecque de “l’organon”, l’organologie dont je te parle est-elle à la fois celle de nos organes d’écoute les plus propres — nos pavillons et nos tympans — “et” celle des instruments en tous genres, plus ou moins mécaniques ou automatiques, qui assistent nos écoutes. Des premiers aux seconds, des organes aux prothèses, c’est toute la pensée moderniste de l’écoute qui se voit sans doute questionnée. D’abord et déjà dans son postulat “structurel”, qui voudrait au fond que l’écoute musicale soit une affaire interne. C’est-à-dire aussi “sans histoire(s)”. » (Szendy, 2001)
  12. Un seul exemple (à propos de l’écoute-marchandise) : « La liquidation de l’individu est la véritable signature de la nouvelle situation musicale. » (Adorno, 1938 [2001]). Et il faudrait aussi lire, en plus des autres écrits de Theodor W. Adorno, Walter Benjamin, Rudolf Arnheim, Paul Valéry, etc.
  13. Cf. Supra 4. « La participation, pour l’individu, est le fait d’être élément dans une individuation plus vaste par l’intermédiaire de la charge de réalité préindividuelle que l’individu contient, c’est-à-dire grâce aux potentiels qu’il recèle. » (Simondon, 1964 [1989]. p. 18). « L'œuvre d'art a donc une fonction positive à l'égard de l'impression esthétique, elle maintient son potentiel de réception par un sujet, c'est-à-dire qu'elle sert de "médiation" active entre la tendance de l'homme à rechercher la totalité et sa "participation" effective à cette totalité. Elle est en ce sens vecteur d'universalité, elle matérialise et relance une puissance de "participation" du sujet. » (Duhem, Ludovic. (2009). La tache aveugle et le point neutre (Sur le double "faux départ" de l'esthétique de Simondon). Cahiers Simondon, n°1, sous la direction de Jean-Hughes Barthélémy, (p.130). Paris: Éditions l'Harmattan)
  14. Dewey, John. (1938 [1968]). Expérience et Éducation. Paris: Armand Colin.
  15. À partir du projet NMSAT et de différents textes publiés par l’auteur (Networked Music & Sound Art Timeline – Historique de l’art audio et de la musique en réseau – Panorama des Pratiques et Techniques liées aux Transports de Sons et aux Actions Sonores à Distance: Archéologie, Généalogie et Nouveaux Paradigmes de l’Écoute à Distance (Joy, 2008), Distance Listening & Internet Auditoriums (Joy, 2009b), Introduction à un Historique et une Organologie de la Télémusique (Joy, 2010b), La Musique Étendue - « En Plein Air » (Les écoutes fascinantes sur l’île Lamma) (Joy, 2010a), Networked Music & Soundart Timeline (NMSAT): A Panoramic View of Practices and Techniques Related to Sound Transmission and Distance Listening (Joy & Sinclair, 2009a), Networked Music & Soundart Timeline (NMSAT): Excerpts of Part One: Ancient and Modern History, Anticipatory Literature, and Technical Developments References (Joy, 2009a). Accessibles sur http://jeromejoy.org/
  16. Locus Sonus – audio in art, est un laboratoire de recherche dévéloppé depuis 2004 dans le cadre d’un post-diplôme commun entre les écoles supérieures d’art d’Aix en Provence et de Nice (Villa Arson). L’équipe de recherche mène des réalisations artistiques et des explorations théoriques et documentaires relatives aux espaces sonores en réseau. Le laboratoire Locus Sonus comprend en 2009/2010: Julien Clauss, Alejandro Duque, Scott Fitzgerald, Jérôme Joy (dir. Rech), Anne Roquigny (coord.), Peter Sinclair (dir. Rech.). http://locusonus.org/. (Joy & Sinclair, 2009b; 2008)
  17. De la même manière que je l’avais également fait pour le livre LOGS rédigé avec Silvia Argüello et publié aux Éditions è®e en 2005 (Joy & Argüello (Lib_), 2005); nous l’avions conçu comme un recueil d’hypothèses et de collectage de textes et de références articulés autour de propositions. D’ailleurs, tous mes écrits sont de la même nature: des réflexions qui foisonnent, explorent et qui trouvent ou non des amarres. Ils innervent mon travail de compositeur, l’accompagne, l’interroge et à la fois le situe et lui donne un objectif. Ils servent d’outils de prospection par le langage et l’écrit en parallèle de mes réalisations artistiques. Ils ne veulent surtout pas se substituer aux commentaires des autres, bien au contraire.
  18. http://jeromejoy.org/
  19. Pour ne citer que quelques exemples : CRiSAP (Creative Research into SoundArt Practices, University of the Arts London, Angus Carlyle), et la maison d’édition Errant Bodies Press animée par Brandon Labelle. Voir aussi les ouvrages significatifs de Douglas Kahn (Noise Water Meat - 1999, Wireless Imagination - 1992), Jonathan Sterne (The Audible Past - 2003), Angus Carlyle (Autumn Leaves - 2007), Christoph Cox (Audio Culture - 2004), Mark Katz (Capturing Sound - 2004), Friedrich Kittler (Gramophone, Film, Typewriter – 1999), Caleb Kelly (Cracked Media - 2009), Alan Licht (Sound Art - 2007), Brandon LaBelle (Background Music - 2006), et les ouvrages d’Allen S. Weiss, etc. Mais aussi les départements de recherche en sociologie rattachés aux explorations des environnements et comportements sonores, dont notamment le CRESSON à Grenoble (Jean-François Augoyard, Jean-Paul Thibaud) : http://www.cresson.archi.fr/ .
  20. La networked music performance (NMR) est aujourd’hui un domaine très actif de la recherche musicale et offre des terrains d’expérimentation qu’il reste encore à développer entre les conditions de la musique et les propriétés des techniques des télécommunications (SARC Belfast (Pedro Rebelo), CultureLab Univ. Newcastle (Atau Tanaka), Troy Rensselaer University (Pauline Oliveros), Telemedia Arts Univ. of Calgary (Ken Fields), Hochschule für Musik und Theater Hamburg (Georg Hadju), CCRMA Stanford Univ. (Chris Chafe), Bournemouth Univ. (Alain Renaud) et voir aussi le projet européen CoMeDia, etc.) (il faut approcher aussi les études de William Duckworth et de Golo Föllmer). La lowercase music (musique "minuscule" ou “bas de casse”) (voisine du microsound), fait croiser de nombreuses pratiques musicales et sonores allant du field recording (enregistrement ambulatoire, sur le terrain) au circuit bending (customisation d’appareils et d’instruments), etc. en passant par l’improvisation électroacoustique, la musique ambiante, la phonographie, la laptop music, etc. De nombreuses listes de diffusion sur Internet s’y consacrent (microsound, soundasart, netbehaviour, phonography, et aussi la CEC Conference). Cf. Infra 166.
  21. Sfez, Lucien. (1994). Symboliques des réseaux, idéologie de la communication. Un entretien avec Lucien Sfez par Jean-Marc Offner. In Flux, n°16, Avril-juin 1994; Sfez, Lucien. (1999). Idéologie des Nouvelles Technologies – Internet et les Ambassadeurs de la Communication. In Le Monde Diplomatique, Mars 1999, (pp. 22-23); et aussi : In Manière de voir, juillet-août 1999, n°46, (pp. 20-22). Accessible à http://www.monde-diplomatique.fr/1999/03/SFEZ/11782 .
  22. « The GII [Global Information Infrastructure] will not only be a metaphor for a functioning democracy, it will in fact promote the functioning of democracy by greatly enhancing the participation of citizens in decision-making. And it will greatly promote the ability of nations to cooperate with each other. I see a new Athenian Age of democracy forged in the fora the GII will create. [...]The final and most important principle is to ensure universal service so that the Global Information Infrastructure is available to all members of our societies. Our goal is a kind of global conversation, in which everyone who wants can have his or her say. » (Al Gore, Discours devant l'International Telecomunications Union, Buenos Aires, 21 mars 1994). Accessible à http://vlib.iue.it/history/internet/algorespeech.html .
  23. Bassand, Michel & Galland, Blaise. (1993). Dynamique des réseaux et société, Flux n°13/14, juillet-décembre 2003, (pp. 7-10). Accessible à http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/flux_1154-2721_1993_num_9_13_959 .
  24. Elias, Norbert. (1939 [1991]). La société des individus. (pp. 70-71). Paris: Fayard.
  25. « Nous passons des mass media aux self media. » (terme attribué à un universitaire québécois). (= «User generated content » ou « contenu généré par l’utilisateur »)
  26. Par Tim Berners-Lee et Robert Cailliau. Voir http://www.w3.org/History/1989/proposal.html. (Gillies, James & Cailliau, Robert. (2000). How the Web was born: the story of the World Wide Web. Oxford: Oxford University Press; Berners-Lee, Tom. (1999). Weaving the Web. New York: HarperCollins). Les navigateurs développés à partir de 1993 : Mosaic, Lynx, Netscape, Internet Explorer, puis plus récemment, Mozilla, Safari, FireFox, etc. La première page Web publiée sur Internet: http://nxoc01.cern.ch/hypertext/WWW/TheProject.html. Et la plus ancienne conservée: http://www.w3.org/History/19921103-hypertext/hypertext/WWW/Link.html. Cela me ramène à mes premières rencontres avec l’informatique, d’abord avec IBM au milieu des années 80, puis avec Apple et NeXT Cube au début des années 90, ainsi que mes premières expérimentations sur Internet à partir de 1994.
  27. Autre terme pour ce qui peut s’apparenter au « tuning »: accordage, réglage, mise au point, préparation d’un dispositif existant, modification organique.
  28. La « stigmergie » (du grec stigma, le signe, et ergon, le travail ou l’œuvre) est la stimulation des agents collaborant à une tâche par le résultat, ou plus exactement par les multiples résultats élémentaires intermédiaires, de cette tâche. Cette stimulation se fait généralement à l’aide de marqueurs modifiant (marquant) l’environnement (Voir http://jesrad.wordpress.com/2007/10/15/quest-ce-que-le-socialisme-stigmergique/). — « Le terme stigmergique est compris ici au sens où les agents laissent des “traces” et créent une structure externe qui en retour, diachroniquement, les influence – de la même manière qu’I. Karsai et Z. Penzes décrivent le travail des guêpes construisant leur nid et dont la structure influence en retour le travail des autres guêpes (Karsai I., Penzes Z. (1993) Comb Building in Social Wasps: Self-Organization and Stigmergic Script. In Journal of Theoretical Biology. 161 (4) : pp.505-525) ou bien, au sens de la généralisation, dans le cas d’agents produisant des structures externes, stigmergiques, qui modifient leurs actions (Theraulaz G., Bonabeau E. (1995). Modelling the Collective Building of Complex Architectures in Social Insects with Lattice Swarms. In Journal of Theoretical Biology; 177 (4), pp. 381-400). » (Roth, Camille. (2008). Réseaux épistémiques : formaliser la cognition distribuée. In Sociologie du travail, Volume 50, n° 3, (pp. 353-371), juillet-septembre 2008). David Chavalarias (École Polytechnique, Paris), dans son exploration du Web comme système complexe, écrit que « le Web est un médium auto-organisé sur plusieurs échelles qui s'appuie sur un effet stigmergique, i.e. des traces laissées dans l'environnement servant de points de repères et de sources d'information aux différents protagonistes. » Voir http://chavalarias.com/ et http://chavalarias.free.fr/invite/index.htm (dernière consultation le 6 avril 2010). Il faudrait lire aussi, dans le prolongement des investigations scientifiques, le roman de science-fiction La Grande Explosion (1962) de Eric F. Russell (à propos de la planète K22g): voir http://web.archive.org/web/20050315170821/http://tmh.floonet.net/books/tgetoc.html.
  29. « La technique n’est pas un moyen au service d’une fin non technique, la technique est notre milieu de vie. Le milieu de l’homme est technique ; l’histoire de la technique est donc aussi une histoire de l’individuation humaine. Tout geste (du plus banal au plus rare) s’effectue dans un milieu technique ; or tout milieu technique comporte de la mémoire. Comprendre l’homme (l’hominisation) ne peut se faire sans réfléchir à ce que cela signifie que d’avoir un milieu technique, c’est-à-dire sans comprendre ce que signifient l’extériorisation des organes et l’intériorisation des prothèses ou des médiations individuantes. » Voir http://www.arsindustrialis.org/milieu . Cf. Supra 4.
  30. Au sens de “préparer un instrument” (comme par exemple, John Cage et le piano préparé : Sonates et Interludes pour piano préparé, 1946-48), i.e. de modifier, d’adapter et de “tuner” sa structure (ou la nature du rendu de celle-ci lorsqu’on l’anime) par diverses techniques étendues de jeu et d’utilisation (plus ou moins non conventionnelles), ce qui demande d’ajuster et de réagencer des éléments qui le constitue, ou encore d’ajouter des réglages. L’intention est de se réapproprier un instrument pour un objectif créatif dépassant les conventions classiques (ce qu’Howard Becker appelle une activité de « franc-tireur » (Becker, 1982 [1988], p. 242).
  31. « Par conversation, j’entends tout dialogue sans utilité directe et immédiate, où l’on parle surtout pour parler, par plaisir, par jeu, par politesse. […] Elle marque l’apogée de “l’attention spontanée” que les hommes se prêtent réciproquement et par laquelle ils s’entre-pénètrent avec infiniment plus de profondeur qu’en aucun rapport social. […] Les interlocuteurs agissent les uns sur les autres, de très près, par le timbre de la voix, le regard, la physionomie, les passes magnétiques des gestes, et non pas seulement par le langage. » (Tarde, Gabriel. (1901 [1989]). L’Opinion et la Foule. (p. 126, 132). Paris: P.U.F.) — « Dans le feu de la conversation, les uns sont bûches, les autres flammes. Quelques personnes, non les moins méritantes se contentent de rôle de pincettes. Elles attisent [sic], remuent, mettent de l’ordre, empêchent l’incendie. » (CHEVS (centre d’archives privées de la Fondation Nationale des Sciences Politiques à Paris), Fonds Gabriel Tarde, GTA 58, Poèmes « pensées-mêlées » « pensées détachées » 1864-1868)
  32. « [Dans le domaine du jazz, tout comme dans les musiques les plus récentes,] [o]n pourrait considérer que le compositeur et l’interprète ne font qu’un, puisque aussi bien l’improvisation équivaut à une composition. » (Becker, 1982 [1988]. p. 36). — « Le concert “live” est une modalité de la répétition, surtout en jazz. La scène du studio ou de l’enregistrement ou encore l’écoute réitérée chez soi au casque, pour moi, c’est une scène d’écriture. Le magnétophone, le phonographe servent à écrire. […] Un nouveau système se met en place, où il n’y a pas d’un côté le temps de l’écriture, et de l’autre le temps de la performance: l’écriture, c’est de la performance et la performance, c’est de l’écriture. » (Stiegler, Bernard. (2004). Électricité, Scène et Studio – Dialogue entre Rodolphe Burger et Bernard Stiegler. In “Révolutions Industrielles de la Musique”, édité par Nicolas Donin et Bernard Stiegler, Cahiers de Médiologie / Ircam, n° 18, (pp.101-108). Paris: Librairie Arthème Fayard).
  33. « La liberté buissonnière des pratiques ». (Giard, Luce. Histoire d’une Recherche. In De Certeau, 1980 1990. p. XIV).
  34. « La fabrication à déceler est une production, une poiétique, — mais cachée, parce qu’elle se dissémine dans les régions définies et occupées par les systèmes de la “production” (télévisée, urbanistique, commerciale, etc.) et parce que l’extension de plus en plus totalitaire de ces systèmes ne laisse plus aux “consommateurs” une place où marquer ce qu’ils “font” des produits. [...] Ces “manières de faire” constituent les mille pratiques par lesquelles des utilisateurs se réapproprient l’espace organisé par les techniques de la production socioculturelle. » Ibid. (De Certeau, 1980 [1990]. p. XXXVII et XL).
  35. « Le secret de l’écriture, le va-et-vient du texte, en train de se faire, pré-textes, textes de soutien, brouillons, ratures, dérobades de la pensée devant le bien-connu, autant que anamnèse nécessaire pour dissiper le préjugé possible, — si cela aussi était exposé à ce qu’on appelle par antiphrase la communication, nous demandions-nous, qu’adviendrait-il ? Peut-être est-ce là l’épreuve qui attend l’écriture à l’âge postmoderne. » (Lyotard & Chaput, 1985. pp. 6-7)
  36. Cf. Ibid. (De Certeau, 1980 [1990]. pp. XLIX-LI).
  37. Un « lurker » (de l’anglais, “to lurk”, se tapir) est un individu qui lit les discussions sur un forum Internet, “newsgroup”, messagerie instantanée ou tout autre espace d'échange mais sans y participer. Le néologisme « dé-lurker » est utilisé pour désigner le moment où le nouveau-venu sort de cette phase d'observation et d'adaptation et se met à contribuer au forum. http://toiltheque.org/Alsic_volume_1-7/Info/gloss.htm. Pour la notion d’extranaute : Cf. Infra 194.
  38. http://autonomyseries.com/. Plusieurs chapitres de la version 2004 ont été publiés en français dans l’ouvrage que j’ai coordonné avec Silvia Argüello: (Joy & Argüello (Lib_), 2005). Le site de l’équipe de traduction est accessible ici : http://gpl.insa-lyon.fr/GplWiki/AutonomyProject http://autonomyseries.com/Volume1/autonomy-french.pdf
  39. http://rtnl.org.uk/free-media-licenses/openflick-free-media-license.html
  40. http://urfist.enc.sorbonne.fr/anciensite/rss/wiki.htm
  41. http://www.nongnu.org/cvs/
  42. C’est le cas par exemple du collectif TopLap : http://www.toplap.org/, http://on-the-fly.cs.princeton.edu/. (Wang & Cook, 2004). D’autres logiciels de type modulaire, comme Processing, donnent lieu aussi à des sessions de “Live Coding”: http://www.v3ga.net/hypermedia/livecoding/, http://www.abstractmachine.net/, http://www.ecole-art-aix.fr/rubrique81.html. “Live Coding” avec le logiciel modulaire PureData: http://www.youtube.com/watch?v=9zKzxqN5mUI; et avec le logiciel Max/MSP: http://www.youtube.com/watch?v=tAtYht4QVnA
  43. http://crossfade.walkerart.org/brownbischoff/
  44. http://www.emf.org/tudor/, http://www.fondation-langlois.org/flash/f/index.php?NumPage=571, http://www.efi.group.shef.ac.uk/mamm.html
  45. Par exemple : Pedro Rebelo (NetRooms, http://www.sarc.qub.ac.uk/~prebelo/netrooms/), Georg Hadju (Net.Quintet, http://www.quintet-net.org/), et également certains de mes projets, la plupart faisant appel à la construction de collectifs (Sobralasolas!, http://sobralasolas.org/ ).
  46. http://www.youtube.com/watch?v=gzBtdFwx97Q (Ipod Battle du 1er septembre 2006 au Paris-Paris); http://www.youtube.com/watch?v=zrmidbTlMwQ (Ipod Battle, 2007, Tokyo); http://www.youtube.com/watch?v=pB0DwbEe3zY (Ipod Battle, 27 mai 2006, Montréal).
  47. Disc-Jockey et Video-Jockey (du latin video « je vois » et de l'anglais jockey, conduire, manœuvrer).
  48. Le terme “juke-box“ apparaît dans les années 1930 aux États-Unis, dérivé du mot argotique “juke-joints” (ou “jook-joints”) qui désigne dans le Sud des États-Unis un bar où l'on danse. À cette époque, on utilise également “juke-bands” pour désigner les groupes de musique qui s'y produisent. Le terme “juke” est dérivé du mot créole afro-américain “joog”, qui signifie “chahuté”, “désordonné”. (Source: Wikipedia)
  49. « Depuis Pierre Schaeffer au moins jusqu’aux actuels Djs, cet appareillage de nos oreilles ouvre la possibilité, pour tout auditeur, de rendre ses écoutes “notoires”: de les reproduire, de les diffuser, c’est-à-dire de les “publier”, pour les entendre, les échanger, les commenter, bref, pour construire ensemble une culture “critique” de l’écoute. Mais, en même temps, l’extension du juridique qui accompagne ou poursuit ces développements techniques tend à ravaler toutes nos écoutes au rang de “citations”. » (Szendy, 2001. pp. 117-118)
  50. Destinataires et destinateurs. « [T]elle est la raison pour laquelle internet rend possible “l’économie participative” typique du logiciel libre. Internet est en effet un milieu technique tel que les destinataires sont mis par principe en position de destinateurs. Cette “structure participative” et en cela “dialogique” est la raison de son succès foudroyant — souvenons-nous qu’en 1992, il n’existait pas encore. Et c’est aussi parce que le réseau IP est un milieu associé, participatif et dialogique qu’il a permis le développement d’un nouveau modèle industriel de production de logiciels à partir d’un système d’exploitation informatique en libre accès, Linux, où les “utilisateurs” des logiciels en sont par principe des “praticiens”, en cela qu’ils contribuent à l’individuation des logiciels (car il y a une individuation technique comme il y a une individuation psychique et une individuation sociale): leurs pratiques sont ce qui fait évoluer les logiciels eux-mêmes, dans la mesure où les praticiens des logiciels en sont aussi les développeurs: ils mettent en œuvre un savoir qu’ils forment par ces pratiques mêmes. » (Stiegler, 2006. p. 53). Lire aussi l’essai sur les Vertus Démocratiques de l’Internet par Dominique Cardon (2007), accessible ici http://www.laviedesidees.fr/Vertus-democratiques-de-l-Internet.html
  51. « Comme tous les participants en savent à peu près autant sur l’activité concernée, et comme tous sont capables d’effectuer n’importe laquelle des tâches requises, la coopération ne soulève aucune difficulté, à part les frictions habituelles dans toutes les relations humaines. » (Becker, 1982 [1988]. p.263) — « En somme, les changements dans l’art passent par des changements dans le monde de l’art. Les innovations s’imposent durablement quand des participants en font la base de nouveaux modes de coopération, ou quand ils introduisent des modifications dans leurs activités coopératives en cours. » (Ibid. p. 309). Voir également : ( Joy & Argüello (Lib_), 2005).
  52. « Le « shakkei » ( 借 景 ) est une pratique subtile de la plantation jardinière vue comme une technique de perception, de construction et d’interprétation de la réalité, et correspondant à ce qui est appelé le « mitate » (« voir comme »), que nous pourrions transposer dans le domaine de l’écoute par « ototate » (si proche étonnamment du terme « Oto date », rituel du point d’écoute, désignant certaines œuvres d’Akio Suzuki). Le « shakkei » (“paysages empruntés” ou “emprunt du paysage”) permet de prendre conscience des plans successifs compris dans une perspective (comme un point de vue par exemple), et offre un mode de décision consciente aidant à placer un élément (pour le jardinier : une plante) dans un rapport entre le premier plan et un arrière-plan lointain. Ainsi une plante devant soi est placée dans un arrangement composé : le parterre proche, organisé, et, par exemple, une montagne dans le lointain. Je propose que la musique étendue et l’écoute à distance soient des « embrayeurs » de telles situations : en collaborant et empruntant aux distances, et en expérimentant les étendues. » (Joy, 2010a). Voir aussi : Hladik, Murielle. (2008). Traces et Fragments dans l’Esthétique Japonaise. (pp. 163-164). Wavre: Éditions Mardaga; Berque, Augustin. (1986). Le Sauvage et l’Artifice. Les Japonais devant la Nature. (p. 81 et 225). Paris : Éditions Gallimard.
  53. Selon Aristote, amitié (philia) et communauté (koinônia), In L’Amicalité – Éthique à Nicomaque, Livres VIII et IX, Paris: Éditions à propos, 2002; et aussi: ce qui permet de survivre au conflit, à la dislocation et à la dissociation (selon Habermas, Jurgen. (1981). Interview par Axel Honnett Eberhard Knödler-Bunte et Arno Widmann: “The Dialectics of Rationalization”. In Ästhetik und Kommunikation, “Zeit”, n° 45/46, Oct. 1981, (pp. 126-155): « Diese Freundlichkeit schließt nicht etwa den Konflikt aus, sondern was sie meint, sind die humanen Formen, in denen man Konflikte überleben kann. »).
  54. Politesse, affabilité que donnent l’usage du monde. Définition que nous pouvons étendre à l’« étiquette » et au « fair dealing » qui se sont développés dans les cadres d’échanges sur Internet.
  55. http://tools.ietf.org/html/rfc1855
  56. Il faudrait également réinterroger les notions de « média chaud » et « média froid » avancées par Marshall McLuhan : Un medium est dit « froid lorsqu'il encourage la participation de son audience, dès lors qu'il lui fournit peu d'informations. À l'inverse, un medium est dit chaud lorsque, fournissant beaucoup d'informations à son audience, il favorise en même temps sa passivité ». — « Sa fameuse distinction entre un média « chaud » et un média « froid » s'appuie sur les effets sensoriels différents qu'ont les médias à haute résolution ou à basse résolution. Les médias à haute résolution (dits « chauds »), tels que la presse ou la radio, sont riches en information et se prêtent moins à la participation sensorielle du lecteur ou de l'auditeur pour compléter l'information. Par contre, les médias à basse résolution (dits « froids »), tels que le téléphone ou la télévision, sont relativement pauvres en information et exigent de l'usager une plus grande participation sensorielle. La forme de chaque média fait appel à un agencement différent de l'ordre des sens et, par conséquent, crée de nouvelles formes de conscience. Ces transformations des perceptions donnent ainsi son sens au message. Autrement dit, “le médium constitue le message même”. » (Historica Dominion Institute, Encyclopédie de la Musique au Canada)
  57. « We can hold in our minds the enormous benefits of a technological society, but we cannot so easily hold the ways it may have deprived us, because technique is ourselves. All descriptions or definition of technique which place it outside ourselves hide from us what it is... Technique comes from and is sustained in our vision of ourselves as creative freedom, making ourselves, and conquering the chances of an indifferent world. » (Grant, George. 1969. 'A Platitude’ in Technology and Empire : Perspectives on North America. (pp. 137-143). Toronto: House of Anansi)
  58. « Ce n’est qu’au XXème siècle que se produit à proprement parler la révolution industrielle de la musique où il devient possible d’en écouter sans savoir en faire: le phonographe puis la radio permettent la constitution de marchés musicaux de masse pour des auditeurs déqualifiés — ni musiciens ni musiquants — oreilles sans yeux pour lire ni mains pour jouer. » (Donin & Stiegler. 2004).
  59. La formule “cinéma pyrotechnique” se trouve dans un article de Jean-François Lyotard datant de 1973 et intitulé l'acinéma. Les productions “pyrotechniques” de l’économie spectatorielle appartiennent au cinéma le plus commercial et le plus grand public (il en est de même dans tous les domaines artistiques). (Selon Laurent Jullier). Voir : Lyotard, Jean-François. (1973). L'acinéma. In “Cinéma, Théorie, Lectures”, Numéro spécial de la Revue d'Esthétique, (pp. 357-369). Paris: Éditions Klincksieck.
  60. Un « smartphone » (téléphone “intelligent” ou ordiphone ou “terminal de poche”) est un téléphone mobile couplé à un PDA (assistant numérique personnel). Il fournit en plus de la fonctionnalité de téléphonie mobile, celles d'agenda/calendrier, de navigation web, de consultation de courrier, de messagerie instantanée, de GPS, d’appareil de photographie, de caméra vidéo, de lecteur de musique (mp3), d’enregistreur audio, de lanceur d’applications multiples et additionnelles (logithèque), etc., tout en étant compatible avec nos ordinateurs, avec les réseaux Internet et les réseaux 3G (3ème Génération de téléphonie mobile intégrant la visiophonie).
  61. http://www.arpla.fr/odnm/?page_id=920. De même, le film Rubber de Quentin Dupieux présenté au Festival de Cannes en 2010 et tourné à l’aide de la fonction vidéo d’un appareil photo reflex Canon EOS 5D Mark II (le même appareil, accessible à tout public, est utilisé pour tourner des scènes du film Largo Winch 2 et le dernier épisode de la saison 6 de la série américaine Dr House).
  62. Une analogie de même ordre pourrait être faite avec le cinéma “camescopique” d’Alain Cavalier, cinéaste qui depuis 1995 investit un cinéma épistolaire et le filmage quotidien en tournant seul en vidéo numérique (avec, pour la prise de son, le micro intégré au camescope), et en conformant sa chaîne de production à une prise de position, politique, économique et esthétique, et à une éthique de la fabrication du “home-movie”. Son dernier film, Irène (2009), a l’apparence d’un chef-d’œuvre.
  63. http://www.petergreenaway.info/content/view/34/55/
  64. Accessible à http://www2.culture.gouv.fr/culture/deps/2008/pdf/dc138.pdf (Département des études de la prospective et des statistiques – DEPS, Ministère de la Culture et de la Communication). Cette étude a été réalisée par l’équipe suivante : Serge Pouts-Lajus, directeur de l’Observatoire des Technologies pour l’Éducation en Europe; Sophie Tiévant, ethnologue; Jean-Christophe Sevin, sociologue; et moi-même.
  65. Un Espace Culture Multimédia (ECM) est un espace dédié au multimédia, comprenant un minimum de 5 ordinateurs connectés à l’Internet, installé dans une structure culturelle ou socio-culturelle et géré par celle-ci. Les ECM constituent en France depuis 1997 des lieux d’accès public aux NTIC et mettent en œuvre des actions de sensibilisation, d’initiation ou de formation à celles-ci. Ils contribuent ainsi à l’objectif gouvernemental de réduction de la “fracture numérique”. Mais ils doivent développer et valoriser de manière prioritaire la dimension culturelle des nouvelles technologies de l’information et de la communication, à la fois comme outils d’accès à la culture et au savoir et comme outils d’expression et de création. Voir http://www.addnb.fr/spip.php?article42 .
  66. « Aujourd’hui, en effet, le son n’est plus exclusivement imaginé, pensé, façonné et fixé par le seul compositeur. Il est devenu modulable par chacun, chaque interprète, chaque consommateur. La famille des instruments domestiques et des instruments robots inaugure l’« auto-production » de musique, indépendante du cercle de producteurs spécialisés (les compositeurs) et des consommateurs avertis (les mélomanes). La miniaturisation des équipements électroniques met à la disposition de chacun les moyens les plus sophistiqués et les plus lourds. Les outils technologiques de fabrication des sons organisés mettent fin à l’exclusivité, à l’originalité du génie spécialisé dans la production des sons, puisque chacun peut « créer » de la musique à sa guise, en fonction de ses besoins grâce aux machines mises à la disposition de tous par les ingénieurs. » (Bernard Bovier-Lapierre, In Art-Science-Technologie, édité par Jean-Claude Risset : Risset 1998; p. 232)
  67. (Becker, 1982 [1988]. p. 242)
  68. « Problème institutionnel d’importance : qui décidera de l’accessibilité et de la promotion des œuvres sur le réseau ? » (Risset, 1998; p. 150)
  69. Gould, Glenn. (1983). Les Perspectives de l’Enregistrement. In "Le Dernier Puritain – Écrits 1", Bruno Monsaingeon (Ed.), (p. 88). Paris: Fayard.
  70. Tel le pianiste et son piano, et tout instrumentiste avec son instrument. Voir à ce sujet le livre éclairant de Peter Szendy : Membres Fantômes des Corps Musiciens (2002). « Lorsque, au clavier, “je corpore” (comme disait si bien Heidegger en parlant de Nietzsche), lorsque s’y épousent des corps — le corps résonant et démultipliant de l’instrument, mais aussi le corps de tous ceux qui auront laissé leurs traces sur la claviature —, “je” serait déjà exposé à la foule. Dit autrement, il y a là, toujours à venir, l’horizon de l’idiotisme du corps musicien. C’est la fragile possibilité que son idiome s’écrive et s’inscrive, sans nostalgie réactive ou totalisante, au sein d’un espace musical mondialement aréalisé. [...] C’est pourquoi y résonne encore, pour l’avenir, quelque chose comme une injonction à réinventer des corps, et des faire-corps. » (Szendy, 2002. pp. 152-153)
  71. Ce qu’Alfred Schütz nomme “syntonie”. (Schütz,1951 [2007])
  72. Le destinateur est l'émetteur d'un message. On dit aussi “locuteur” et “énonciateur”. Cf. Supra 31.
  73. (Schütz,1951 [2007]. pp. 133-138). Citons par exemple ce passage: « A travers cette re-création du processus musical, l’interprète prend part au courant de conscience du compositeur aussi bien que de l’auditeur. De ce fait il aide ce dernier à s’immerger dans l’articulation particulière du flux du temps interne qui est le sens propre du morceau de musique considéré. Que l’interprète et l’auditeur partagent entre eux un présent vivant dans une relation de face-à-face ou qu’ils ne partagent, par l’interposition de procédés mécaniques comme le disque, qu’une quasi-simultanéité de leur courant de conscience, importe peu. Ce dernier cas renvoie toujours au premier. La différence qui existe entre les deux démontre seulement que la relation entre l’interprète et le public est sujette à des variations d’intensité, d’intimité et d’anonymat. On comprend cela très bien si l’on imagine un auditoire constitué d’une seule personne, d’un petit groupe de personnes dans un lieu privé, d’une foule remplissant une grande salle de concert ou des auditeurs entièrement inconnus d’une exécution radiophonique ou d’un disque vendu dans le commerce. Dans toutes ces circonstances, l’interprète et l’auditeur se syntonisent l’un sur l’autre. » Et plus loin : « Par conséquent, chaque action de chaque interprète s’oriente non seulement selon la pensée du compositeur et sa relation au public mais aussi, de façon réciproque, selon les expériences dans les temps externe et interne des autres interprètes. [...] Tout musicien de chambre sait à quel point une disposition qui les empêche de se voir peut être dérangeante. »
  74. « Le partage commun de “l'ici et maintenant”, modèle principal de la relation humaine, se transpose ainsi dans l'espace et devient la référence de la communication à distance. » (Weissberg, 2000).
  75. J’avais soulevé cette question dans un texte antérieur, commis aux alentours de 2001 et 2002 sous le pseudonyme “labo”, à propos des dispositifs coopératifs et des Constructions de Situations Collectives d’Invention – Home-Studios et Dispositifs Audio en Réseau. Il est accessible sous différentes versions sur Internet, dont ici: http://apo33.org/siteweb/imprimer.php3?id_article=128. Il a également été publié dans la revue Volume ! vol. 1, n°2, 2002, aux éditions Mélanie Seteun, et dans la revue électronique Archée à Montréal en 2003, http://archee.qc.ca/ar.php?page=article&no=198, et dans sa version définitive dans le livre LOGS – micro-fondements pour une émancipation sociale et artistique, publié aux éditions è®e en 2005 (Joy & Argüello (Lib_), 2005). Je peux citer aussi Élie During: « [Que se passe-t-il] lorsque les ressources inventives du bricolage finissent par infléchir la logique de la production industrielle ? Quelles sont, plus généralement, les conditions qui définissent une pratique d’expérimentation créative sur des objets ou des dispositifs techniques ? » (During, 2006). Accessible ici: http://www.ciepfc.fr/spip.php?article41.
  76. « Internet fait fi des territoires : des communautés se définissent par le choix d’un domaine d’intérêt, dans ancrage géographique. Plus d’effet de distance, de voisinage ou d’éloignement. Singulier, à une époque des résurgences des nationalismes et de recherche anxieuse d’identité et de racines. Un accès aussi ubiquiste aux informations est-il bien raisonnable ? et sans danger ? » (Risset, 1998; p. 150)
  77. « [L]a communication de messages sert à transmettre jusqu’aux extrémités du monde un extension de nos sens et de nos capacités. » (Wiener,1954 [1962]. p. 121)
  78. « Acousmate, Acousmatique —, (auditeur) nom donné aux élèves de Pythagore, qui, pendant cinq ans, écoutaient ses leçons derrière un voile, en gardant un rigoureux silence. Du gr. akouô. » (Roquefort-Flaméricourt, Jean-Baptiste-Bonaventure de. (1829). Dictionnaire étymologique de la langue françoise, où les mots sont classés par familles : contenant les mots du dictionnaire de l'Académie françoise avec les principaux termes d’art, de sciences et de métiers, précédé d'une Dissertation sur l'étymologie, par J.-J. Champollion-Figeac. Paris: Decourchant Impr-Ed, Tome Premier, A-K, p. 6.); « Qui entend sans voir; entendu sans être vu. » (Babault M. (1836). Dictionnaire français et géographique : contenant outre les mots de la langue française, des sciences et des arts, la nomenclature de toutes les communes de France et des villes les plus remarquables du monde. Paris : chez l'auteur. p. 19); « Se dit d’un bruit que l’on entend sans apercevoir les causes réelles dont il provient. » (Trousset, Jules (sous la direction de). (1885-1891). Nouveau Dictionnaire Encyclopédique Universel Illustré, Premier Volume. Paris : Librairie Illustrée, p. 39). Voir aussi Infra 117.
  79. « Quel est donc, “essentiellement” l’effet du microphone ? [...] le micro donne des événements une version “purement” sonore. Sans transformer le son, il transforme l’écoute. De mémoire d’humanité, on n’avait jamais eu coutume d’entendre sans voir. Depuis vingt ans, les hommes entendent quotidiennement des voix sans visage, des musiques sans orchestre, des pas sans corps, des grondements sans foule. Ils reconnaissent à peine ces voix, trouvent ces musiques désincarnées, ces bruits et ces rumeurs étranges. Ils mettent en cause l’instrument, l’accusent ou le glorifient: ils se trompent. L’instrument n’exerce qu’un pouvoir “séparateur”. » (Schaeffer, 1946 [1977]) — « Rabelais nous avait fait rêver de “paroles gelées”. Mais le dégel ne nous les restitue pas telles que nous les avions pour la première fois entendues. La caméra, le micro, vous ont trahi, dites-vous. Mais quelle naïveté de croire qu’ils étaient vos amis ! Le papier se laisse écrire. Pas le film. Pas le disque. » (Schaeffer, 1941 [1977])
  80. Au-delà des descriptions, utopies et uchronies littéraires publiées lors des siècles derniers — Francis Bacon (New Atlantis, 1627), Cyrano de Bergerac (Histoire Comique des États et Empires de la Lune et du Soleil, 1655), Tiphaigne de la Roche (Giphantie, 1760), jusqu’à Jules Verne (Le Château des Carpathes, 1892; La Journée d’un Journaliste Américain en 2889, 1889; Une Ville Idéale, 1875), Guillaume Apollinaire (Amphion, 1910; Le Roi-Lune, 1916), et Paul Valéry (La Conquête de l’Ubiquité, 1928), etc. (pour l’accès à ces références, voir le projet NMSAT - Networked Music & SoundArt Timeline (Joy, 2008; Joy & Sinclair, 2009a; Joy, 2009a) —, attachons-nous à la description du Memex par Vannevar Bush en 1945 : « First he runs through an encyclopedia, finds an interesting but sketchy article, leaves it projected. Next, in a history, he finds another pertinent item, and ties the two together. Thus he goes, building a trail of many items. Occasionally he inserts a comment of his own, either linking it into the main trail or joining it by a side trail to a particular item. When it becomes evident that the elastic properties of available materials had a great deal to do with the bow, he branches off on a side trail which takes him through textbooks on elasticity and tables of physical constants. He inserts a page of longhand analysis of his own. Thus he builds a trail of his interest through the maze of materials available to him. And his trails do not fade. Several years later, his talk with a friend turns to the queer ways in which a people resist innovations, even of vital interest. [...] Tapping a few keys projects the head of the trail. A lever runs through it at will, stopping at interesting items, going off on side excursions. It is an interesting trail, pertinent to the discussion. So he sets a reproducer in action, photographs the whole trail out, and passes it to his friend for insertion in his own memex, there to be linked into the more general trail. » (Bush, 1945). Suivi d’un complément de description quelques années plus tard : « The two most noteworthy additions in the Memex II were the use of color to distinguish old trails from new trails, and the use of phone lines in order to add documents to one's personal database ». (Bush, 1959 [1991])
  81. http://apo33.org/poulpe/doku.php
  82. http://www.hypermoderne.com/html/le_memoire/partie2_methode/2guipographie.htm
  83. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/colan_0336-1500_2004_num_139_1_3260
  84. http://blog-dominique.autie.intexte.net/blogs/index.php/all/2005/02/24/eloge_des_siphonophores
  85. http://oregonstate.edu/instruct/phl302/texts/bacon/atlantis.html
  86. http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k83191r
  87. http://www.phys.uu.nl/~gdevries/etexts/ville/ville.html
  88. La proprioception est, entre autres, la perception des mouvements de notre propre corps ainsi que des contraintes mécaniques qu'il exerce sur lui-même. (Dauby, 2004). Accessible ici : http://www.kalerne.net/txt/ydauby-pspartages.pdf .
  89. « Nous vivons bien plutôt dans un monde feuilleté où différentes couches temporelles d’inventions, de concepts, de manières de vivre et de créer des œuvres se rencontrent et se superposent sans cesse. » (Laurent Jullier, L’Ère des Flux, accessible ici : http://perso.numericable.fr/laurent.jullier/LJ/TEL_files/Ere des flux.html)
  90. « C’est une propriété redoutable de l’électronique et de l’informatique qu’elles peuvent se faire ouvrir de loin les plus proches intimités. Nos retraites se peuplent de messages. Dans l’aller et retour des flux d’informations, les murs qui nous protégeaient sont devenus la plus pauvre des interfaces. » (Lyotard & Chaput, 1985)
  91. Qui définit l’agogique, terme sur lequel nous reviendrons plus loin. Cf. Infra 196.
  92. « “Skholè” a le sens général d’un arrêt, d’un répit ou d’une trêve, d’une suspension temporelle. Le temps “skolaïque” ou “scolaire” est “calme”, “tranquille” voire “lent” (traductions possibles de l’adjectif skholaios) parce qu’il est le temps de la maîtrise du temps, un temps dans lequel l’action peut se dérouler à loisir, prendre son temps, se donner le temps au lieu d’être emportée par lui, comme à l’accoutumée : un temps libre et souverain. » (Guillaume Vergne, Julien Gauthier, Francis Beaubois : http://skhole.fr/que-signifie-le-mot-skhole ) (dernière consultation le 7 avril 2010).







   
   
   
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