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« Les Enfants du Capitaine Grant » Sommaire« Vingt Mille Lieues sous les Mers »





1865 - « Une Fantaisie du Docteur Ox ».(Edit)


Fioravanti avait obtenu des succès immenses dans les Huguenots.




Commentaire : La petite ville de Quiquendone en pleine Flandre, qui ne figure pas sur les cartes et qui est administrée par la famille van Tricasse, est le « théâtre de phénomènes surprenants, extraordinaires, invraisemblables autant que véridiques ». Dans ce village paisible, un savant fou, le docteur Ox, et son fidèle assistant Ygène (dont les deux noms accolés donnent le mot oxygène) proposent un éclairage gratuit au gaz oxy-hydrique. Ce gaz a la particularité de rendre les gens temporairement agressifs, notamment lors de la représentation de l'œuvre d'art lyrique, "Les Huguenots".


Mot-Clés : piano aérien, interprétation musicale, auditoire
Personnalités et œuvres citées :Meyerbeer, Robert le Diable, les Huguenots, Gioachino Rossini, Guillaume Tell, Mozart, Les Noces de Figaro, Le Barbier de Séville


Télécharger le livre « Une Fantaisie du Docteur Ox »


Illustrations : http://fr.wikisource.org/wiki/Une_fantaisie_du_docteur_Ox




Extrait.................. « Chap. I — Comme quoi il est inutile de chercher, même sur les meilleures cartes, la petite ville de Quiquendone. — [...] On y entend, à chaque heure, un carillon de cinq octaves, véritable piano aérien, dont la renommée surpasse celle du célèbre carillon de Bruges. »

« Chap. VII — Où les andante deviennent des allegro et les allegro des vivace. — [...] On jouait un peu de tout au théâtre de Quiquendone, et surtout l’opéra et l’opéra-comique. Mais il faut dire que les compositeurs n’eussent jamais pu reconnaître leurs œuvres, tant les « mouvements » en étaient changés.
En effet, comme rien ne se faisait vite à Quiquendone, les œuvres dramatiques avaient dû s’approprier au tempérament des Quiquendoniens. Bien que les portes du théâtre s’ouvrissent habituellement à quatre heures et se fermassent à dix, il était sans exemple que, pendant ces six heures, on eût joué plus de deux actes. Robert le Diable, les Huguenots, ou Guillaume Tell, occupaient ordinairement trois soirées, tant l’exécution de ces chefs-d’œuvre était lente. Les vivace, au théâtre de Quiquendone, flânaient comme de véritables adagio. Les allegro se traînaient longuement, longuement. Les quadruples croches ne valaient pas des rondes ordinaires en tout autre pays. Les roulades les plus rapides, exécutées au goût des Quiquendoniens, avaient les allures d’un hymne de plain-chant. Les trilles nonchalants s’alanguissaient, se compassaient, afin de ne pas blesser les oreilles des dilettanti. Pour tout dire par un exemple, l’air rapide de Figaro, à son entrée au premier acte du Barbier de Séville, se battait au numéro trente-trois du métronome et durait cinquante-huit minutes, – quand l’acteur était un brûleur de planches.
On le pense bien, les artistes venus du dehors avaient dû se conformer à cette mode ; mais comme on les payait bien, ils ne se plaignaient pas, et ils obéissaient fidèlement à l’archet du chef d’orchestre, qui, dans les allegro, ne battait jamais plus de huit mesures à la minute.
Mais aussi, quels applaudissements accueillaient ces artistes, qui enchantaient, sans jamais les fatiguer, les spectateurs de Quiquendone ! Toutes les mains frappaient l’une dans l’autre à des intervalles assez éloignés, ce que les comptes rendus des journaux traduisaient par applaudissements frénétiques ; et une ou deux fois même, si la salle étonnée ne croula pas sous les bravos, c’est que, au douzième siècle, on n’épargnait dans les fondations ni le ciment ni la pierre.
D’ailleurs, pour ne point exalter ces enthousiastes natures de Flamands, le théâtre ne jouait qu’une fois par semaine, ce qui permettait aux acteurs de creuser plus profondément leurs rôles et aux spectateurs de digérer plus longuement les beautés des chefs-d’œuvre de l’art dramatique.
Or, depuis longtemps les choses marchaient ainsi. Les artistes étrangers avaient l’habitude de contracter un engagement avec le directeur de Quiquendone, lorsqu’ils voulaient se reposer de leurs fatigues sur d’autres scènes, et il ne semblait pas que rien dût modifier ces coutumes invétérées, quand, quinze jours après l’affaire Schut-Custos, un incident inattendu vint jeter de nouveau le trouble dans les populations.
C’était un samedi, jour d’opéra. Il ne s’agissait pas encore, comme on pourrait le croire, d’inaugurer le nouvel éclairage. Non ; les tuyaux aboutissaient bien dans la salle, mais, pour le motif indiqué plus haut, les becs n’avaient pas encore été posés, et les bougies du lustre projetaient toujours leur douce clarté sur les nombreux spectateurs qui encombraient le théâtre. On avait ouvert les portes au public à une heure après midi, et à quatre heures la salle était à moitié pleine. Il y avait eu un moment une queue qui se développait jusqu’à l’extrémité de la place Saint-Ernuph, devant la boutique du pharmacien Josse Liefrinck. Cet empressement faisait pressentir une belle représentation.
[...] Il s’agissait, en effet, du célèbre ténor Fioravanti, qui, par son talent de virtuose, sa méthode parfaite, sa voix sympathique, provoquait chez les amateurs de la ville un véritable enthousiasme.
Depuis trois semaines, Fioravanti avait obtenu des succès immenses dans les Huguenots. Le premier acte, interprété au goût des Quiquendoniens, avait rempli une soirée tout entière de la première semaine du mois. Une autre soirée de la seconde semaine, allongée par des andante infinis, avait valu au célèbre chanteur une véritable ovation. Le succès s’était encore accru avec le troisième acte du chef-d’œuvre de Meyerbeer. Mais c’est au quatrième qu’on attendait Fioravanti, et ce quatrième acte, c’est ce soir-là même qu’il allait être joué devant un public impatient. Ah ! ce duo de Raoul et de Valentine, cet hymne d’amour à deux voix, largement soupiré, cette strette où se multiplient les crescendo, les stringendo, les pressez un peu, les più crescendo, tout cela chanté lentement, compendieusement, interminablement ! Ah ! quel charme !
Aussi, à quatre heures, la salle était pleine. Les loges, l’orchestre, le parterre regorgeaient. [...] Ordinairement, en attendant le lever du rideau, les Quiquendoniens avaient l’habitude de se tenir silencieux, les uns lisant leur journal, les autres échangeant quelques mots à voix basse, ceux-ci gagnant leur place sans bruit et sans hâte, ceux-là jetant un regard à demi éteint vers les beautés aimables qui garnissaient les galeries.
Mais ce soir-là, un observateur eût constaté que, même avant le lever du rideau, une animation inaccoutumée régnait dans la salle. On voyait remuer des gens qui ne remuaient jamais. Les éventails des dames s’agitaient avec une rapidité anormale. Un air plus vivace semblait avoir envahi toutes ces poitrines. On respirait plus largement. Quelques regards brillaient, et, s’il faut le dire, presque à l’égal des flammes du lustre, qui semblaient jeter sur la salle un éclat inaccoutumé. Vraiment, on y voyait plus clair que d’habitude, bien que l’éclairage n’eût point été augmenté. Ah ! si les appareils nouveaux du docteur Ox eussent fonctionné ! mais ils ne fonctionnaient pas encore.
Enfin, l’orchestre est à son poste, au grand complet. Le premier violon a passé entre les pupitres pour donner un la modeste à ses collègues. Les instruments à cordes, les instruments à vent, les instruments à percussion, sont d’accord. Le chef d’orchestre n’attend plus que le coup de sonnette pour battre la première mesure.
La sonnette retentit. Le quatrième acte commence. L’allegro appassionato de l’entracte est joué suivant l’habitude, avec une lenteur majestueuse, qui eût fait bondir l’illustre Meyerbeer, et dont les dilettanti quiquendoniens apprécient toute la majesté.
Mais bientôt, le chef d’orchestre ne se sent plus maître de ses exécutants. Il a quelque peine à les retenir, eux si obéissants, si calmes d’ordinaire. Les instruments à vent ont une tendance à presser les mouvements, et il faut les refréner d’une main ferme, car ils prendraient l’avance sur les instruments à cordes ; ce qui, au point de vue harmonique, produirait un effet regrettable. Le basson lui-même, le fils du pharmacien Josse Liefrinck, bien élevé, tend à s’emporter.
Cependant Valentine a commencé son récitatif :
Je suis seule chez moi...
mais elle presse. Le chef d’orchestre et tous ses musiciens la suivent – peut-être à leur insu – dans son cantabile, qui devrait être battu largement, comme un douze-huit qu’il est. Lorsque Raoul paraît à la porte du fond, entre le moment où Valentine va à lui et le moment où elle le cache dans la chambre à côté, il ne se passe pas un quart d’heure, tandis qu’autrefois, selon la tradition du théâtre de Quiquendone, ce récitatif de trente-sept mesures durait juste trente-sept minutes.
Saint-Bris, Nevers, Cavannes et les seigneurs catholiques sont entrés en scène, un peu précipitamment peut-être. Allegro pomposo, a marqué le compositeur sur la partition. L’orchestre et les seigneurs vont bien allegro, mais pas pomposo du tout, et au morceau d’ensemble, dans cette page magistrale de la conjuration et de la bénédiction des poignards, on ne modère plus l’allegro réglementaire. Chanteurs et musiciens s’échappent fougueusement. Le chef d’orchestre ne songe plus à les retenir. D’ailleurs le public ne réclame pas, au contraire ; on sent qu’il est entraîné lui-même, qu’il est dans le mouvement, et que ce mouvement répond aux aspirations de son âme :
Des troubles renaissants et d’une guerre
/ impie,
Voulez-vous, comme moi, délivrer le pays ?

[...] Les soprani, les ténors, les basses, attaquent avec des cris de rage l’allegro furioso, et, d’un six-huit dramatique, ils font un six-huit de quadrille. Puis, ils sortent en hurlant :
À minuit,
Point de bruit !
Dieu le veut !
Oui,
À minuit.

En ce moment, le public est debout. On s’agite dans les loges, au parterre, aux galeries. Il semble que tous les spectateurs vont s’élancer sur la scène, le bourgmestre van Tricasse en tête, afin de s’unir aux conjurés et d’anéantir les huguenots, dont, d’ailleurs, ils partagent les opinions religieuses. On applaudit, on rappelle, on acclame !
[...]Il était temps. L’orchestre, véritablement ivre, n’aurait pu continuer. Le bâton du chef n’est plus qu’un morceau brisé sur le pupitre du souffleur ! Les cordes des violons sont rompues et les manches tordus ! Dans la fureur, le timbalier a crevé ses timbales ! Le contrebassiste est juché sur le haut de son édifice sonore ! La première clarinette a avalé l’anche de son instrument, et le second hautbois mâche entre ses dents ses languettes de roseau ! La coulisse du trombone est faussée, et enfin, le malheureux corniste ne peut plus retirer sa main, qu’il a trop profondément enfoncée dans le pavillon de son cor !
Et le public ! le public, haletant, enflammé, gesticule, hurle ! Toutes les figures sont rouges comme si un incendie eût embrasé ces corps à l’intérieur ! On se bourre, on se presse pour sortir, les hommes sans chapeau, les femmes sans manteau ! On se bouscule dans les couloirs, on s’écrase aux portes, on se dispute, on se bat ! Plus d’autorités ! plus de bourgmestre ! Tous égaux devant une surexcitation infernale...
Et, quelques instants après, lorsque chacun est dans la rue, chacun reprend son calme habituel et rentre paisiblement dans sa maison, avec le souvenir confus de ce qu’il a ressenti.
Le quatrième acte des Huguenots, qui durait autrefois six heures d’horloge, commencé, ce soir-là, à quatre heures et demie, était terminé à cinq heures moins douze.
Il avait duré dix-huit minutes ! »

« Chap. VIII — Où l’antique et solennelle valse allemande se change en tourbillon. — Mais si les spectateurs, après avoir quitté le théâtre, reprirent leur calme habituel, s’ils regagnèrent paisiblement leur logis en ne conservant qu’une sorte d’hébétement passager, ils n’en avaient pas moins subi une extraordinaire exaltation, et, anéantis, brisés, comme s’ils eussent commis quelque excès de table, ils tombèrent lourdement dans leurs lits. [...] »

« Chap. IX — Où les Quiquendoniens prennent une résolution héroïque. — [...] Cependant cette disposition des esprits produisit encore d’autres effets assez curieux et qu’il importe de signaler. Cette surexcitation, dont la cause nous échappe jusqu’ici, amena des régénérescences physiologiques, auxquelles on ne se serait pas attendu. Des talents, qui seraient restés ignorés, sortirent de la foule. Des aptitudes se révélèrent. Des artistes, jusque-là médiocres, se montrèrent sous un jour nouveau. Des hommes apparurent dans la politique aussi bien que dans les lettres. Des orateurs se formèrent aux discussions les plus ardues, et sur toutes les questions ils enflammèrent un auditoire parfaitement disposé d’ailleurs à l’inflammation. Des séances du conseil, le mouvement passa dans les réunions publiques, et un club se fonda à Quiquendone ; pendant que vingt journaux, le Guetteur de Quiquendone, l’Impartial de Quiquendone, le Radical de Quiquendone, l’Outrancier de Quiquendone, écrits avec rage, soulevaient les questions sociales les plus graves. [...] »

« Chap. XIV — Où les choses sont poussées si loin que les habitants de Quiquendone, les lecteurs et même l’auteur réclament un dénouement immédiat.. — [...] « Arrêtez ! arrêtez ! fous que vous êtes ! s’écria-t-il. Suspendez vos coups ! Laissez-moi fermer le robinet ! Vous n’êtes point altérés de sang ! Vous êtes de bons bourgeois doux et paisibles ! Si vous brûlez ainsi, c’est la faute de mon maître, le docteur Ox ! C’est une expérience ! Sous prétexte de vous éclairer au gaz oxy-hydrique, il a saturé... »






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Acte V, scène 1bis, 1836






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