« Tout ce qui bouge sur un écran est du cinéma. » (Jean Renoir) |
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PLAN NOIR, n. m.
mot-clés : - Marguerite Duras - Hsiao-hsien Hou - Abbas Kiarostami - Abbas Kiarostami - Joao César Monteiro - Joao César Monteiro - Jean-Luc Godard -
L'image noire, les plans entièrement noirs dans les films habitent le cinéma depuis le commencement. Le noir occupe une place toute particulière dans le dispositif cinématographique: noir de la salle, noir de la pellicule, monochrome noir minimaliste sur l'écran? Entité et problème plastique, question plastique et formelle? L'usage et les effets du plan noir sont divers en cinéma, comme en témoignent quelques exemples à évoquer dans cette intervention. (Laure BERGALA : L'image noire, colloque Cerisy 2001)
Le réalisateur a opté pour un montage au rythme relativement lent qui sert, d’une part, la narration, d’autre part, le suspense. Une des principales caractéristiques (qu’on retrouvera dans Incassable, 2001) du style de M. Shyamalan est l’utilisation de longs fondus au noir. Chaque séquence est séparée des autres par un plan noir de plusieurs secondes.
Revenons alors à la construction formelle de ce film, elle se tient en un bombardements de chutes d'images et de discours, des cadrages explosés, des intrusions sonores permanentes. Et entrecoupant ce flux, deux pauses, disjonctives entre le visuel et le sonore. Un plan noir, sans images, tout comme dans les films situationnistes de Debord, qu'accompagne la bruit effarant, puis effrayant des avions qui percutent les Twin Towers. Chacun là est renvoyé à sa propre incapacité à imager et à imaginer, à son propre trouage dans ses maillages de représentations – ce d'autant que l'attentat est resté non revendiqué. (Le 20 juillet 2004, Sur Fahrenheit 9/11, ou du cinéma à l'estomac… Olivier Douville (Psychanalyste, Paris)
L' ÉCRAN NOIR
Le noir, au cinéma, est une ponctuation, un passage d'un espace à un autre, et, le plus souvent, d'un temps à un autre. Un noir est d'autant plus passage qu'il est souvent précédé d'une fermeture au noir, disparition d'une image dans le noir, comme il peut être suivi d'une ouverture au noir, naissance d'une image dans le noir. C'est ce qui est systématiquement fait entre chaque plan séquence des Fleurs de Shanghai (Hsiao-hsien Hou) où le plan est conçu comme une île. Plus le noir est long, plus l'ellipse est grande. Parfois, le noir acquiert le statut d'image en soi. Il est joué comme une note à part : le spectacle se fait invisible, et c'est le son qui fait image.
Le noir et la métaphore
Le noir joue un rôle narratif et symbolique. Uma Thurman est ensevelie vivante dans un cercueil dans Kill Bill volume 2. Son emprisonnement et sa libération ont lieu sur un écran noir, laissant jouer le son seul avec les pelletées de terre qui recouvrent le cercueil, et le souffle rauque d'Uma Thurman, suppliant, proche de l'agonie. Le spectateur ne voit que le noir dans ce moment à la fois réaliste - il est dans la même situation que le personnage - et métaphorique - c'est une mise en scène du passage vers la mort. Il faut donc qu'Uma Thurman réussisse à allumer la lumière, d'une lampe de poche, de la projection, et qu'elle jaillisse hors de la terre ; elle rejoue en accéléré et en temps quasiment réel le long coma du début du Premier volume. Quand elle sort de la terre, elle est filmée telle une morte vivante : de l'extérieur, sa main s'extirpant, à la manière des films d'horreur.
Le noir et l'abstraction
Passer par l'écran noir, c'est flirter avec les symboles parce que le noir, s'il n'est pas une couleur, n'en est pas moins pictural. Dans Five de Abbas Kiarostami, le cinquième poème est le reflet de la lune dans un étang. Quand les nuages passent devant la lune, il n'y a plus rien : le champ est vidé, noir. Parfois la lune revient après un long temps. Seul le son dévoile l'action, les chants d'animaux indéfinis et changeants, les bruissements du vent, ou l'orage qui gronde, brisant un instant l'obscurité à coup d'éclairs. En en montrant le moins possible, Kiarostami échappe au réalisme parce que l'espace de projection est maximal et recouvre tous les possibles. Déjà dans ABC Africa (Abbas Kiarostami), lors d'un orage, le courant était coupé et laissait dix minutes noires au seuil de l'abstraction.
Le plan noir et le silence de l'image
Si le plan noir échappe au sens, c'est qu'il crée son propre espace, un espace musical. Dans Éloge de l'amour, Jean-Luc Godard joue les plans noirs comme autant de silences. C'est le moment où l'image se tait, alors que le son continue. C'est ainsi que Duras l'utilise dans ses films, dans L'Homme Atlantique en particulier Marguerite Duras. Il ne reste plus que la voix sur du noir, la voix qui dirige l'acteur amant, ce qui crée un plan en soi, un espace de projection où le film est la salle ne font qu'un. Yann Andréa marche une fois, deux fois, et le deuxième essai ne peut être montré de la même façon, de même que l'amour ne peut être revécu. Le plan noir est à la fois le champ et le contrechamp Yann Andréa/Duras. Il est ici au niveau du film comme dans Kill Bill II (Uma Thurman d'un côté, ce qu'elle voit de l'autre) et hors du film (ce qu'il y a sur l'écran et la salle plongée dans le noir absolu).
Le noir, quand il n'est pas coupe, ellipse, est donc une violence faite à la représentation qui s'absente le temps de quelques images, ou d'un film entier. C'est la provocation de Monteiro d'avoir inversé les plans : la totalité du film est noire, alors que les noirs elliptiques des films classiques sont représentés par des paysages. Le conte, Blanche-neige (Joao César Monteiro, Joao César Monteiro), ne peut plus être raconté : il n'en reste que les dialogues privés de la chair des acteurs. Face à la surenchère des images, les cinéastes feraient bien de penser un peu aux noirs, ces espaces limites qui mettent en scène la mort du cinéma lui-même, petite mort puisque c'est aussi la frontière où le cinéma renaît, par la peinture et par la musique, à lui-même.
Martin Drouot
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