« Tout ce qui bouge sur un écran est du cinéma. » (Jean Renoir) |
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mot-clés : - PLAN FIXE - PLAN NOIR -
Abbas Kiarostami, Five, 2006
Abbas Kiarostami, on making of Five
Five (2006)
video installation
Essai documentaire - 2004 - Iran/Japon/France - durée: 1h14
The video installation Five (2006), which is presented March 1-May 28 in MoMA's Yoshiko and Akio Morita Gallery, comprises separate projections of each of the five parts of the artist's 2004 feature Five, in which five scenes, filmed by a static camera, play out in front of a beach looking over the Caspian Sea.
5 plans séquence sur le thème de l'eau:
- 1/ La caméra accompagne un morceau de bois avec lequel jouent les vagues, au bord de la plage.
- 2/ Des personnes se promènent près de la mer. Les plus âgés s'arrêtent, observent les vagues, puis s'éloignent. Plus personne ne passe, reste la mer et les vagues qui se brisent sur la plage.
- 3/ Des formes indistinctes sur une plage hivernale. Un groupe de chiens. Une histoire d'amour.
- 4/ Des canards traversent bruyamment le plan. Dans une direction, puis dans l'autre.
- 5/ Une mare. La nuit. Des grenouilles. Un concert de bruits. Puis l'orage. Et enfin l'aube..
Ce film n'en est pas vraiment un. Abbas Kiarostami expérimente ici cinq ('Five' !) longs plans, tournés au bord de la mer Capsienne (pour la plupart lors de l'élaboration du scénario de 'Sang et or' de Jafar Panahi) :
- La caméra suit un morceau de bois qui se fait emporter par les vagues ...
- Sur un quai de bord de mer, des passants défilent ...
- On distingue des chiens au loin, en bordure de mer ...
- Des canards traversent l'écran dans un sens ... puis dans l'autre ...
- Une nuit de pleine lune, un orage, un étang, des animaux que l'on devine par le son ... (30 minutes dont une bonne partie complétement dans le noir comme dans ABC Africa, sur un étang avec des grenouilles qui croassent.)
Ce travail est à placer entre les photographies et les films de Kiarostami, ces plans sont en quelque sorte des tableaux vidéos. On pourrait très bien imaginer ces projections dans un musée d'art contemporain. Abbas Kiarostami expérimente avec ces plans. On le voit manipuler sous nos yeux la couleur (dans le 3ème plan, les couleurs tendent petit à petit vers le blanc) avec la caméra DV utilisé pour ce projet.
L'intention de Kiarostami est de "laver les yeux" des spectateurs habitués aux productions hollywoodiennes et de laisser une interprétation libre. Ce qui est certain c'est que le spectateur aura le temps de réfléchir lors de ses plans fixes, ce qui l'est moins, c'est que le public des productions américaines se rende à une telle séance ... Autre limite de cet exercice, l'absence volontaire de mise en scène n'est pas toujours respectée. On devine les collaborateurs "dirigés" les canards du 4ème plan, ou encore le travail de montage sonore du 5ème plan.
Mais n'oublions pas que 'Five' n'est pas un film à part entière mais une expérimentation que dévoile son auteur, à replacer dans le cadre de son oeuvre cinématographique et photographique.
FIVE
5 Long Takes Dedicated to Yasujiro Ozu
de Abbas Kiarostami
''Iran-Japon-France/2004 / 74' / coul. /
sans dialogues
avec Abbas Kiarostami/ Ali Reza Riahi/ Bahman Kiarostami/ Farhad Khodaverdi / Seifollah Samadian
Cinq plans-séquences poétiques tournés en caméra numérique. Un film dont Abbas Kiarostami dira qu'il « lave les yeux ».
«Rarement comme devant ces cinq courts métrages nous avons eu avec une telle intensité, devant n écran, le sentiment d'être devant un morceau et un moment du monde rendus visibles par la puissance de l'artifice d'une machine à cadrer, à faire le point, à travailler la lumière, à manipuler les sons. » (A. Bergala, « Cahiers du cinéma », n° 590, mai 2004)
Propos extraits du livre KIAROSTAMI, Electa, 2003
La découverte de la caméra digitale a éliminé en moi toute forme d'autocensure. C'est comme la photo : quand je vois quelque chose qui m'intéresse ou me frappe, je peux la photographier, l'enregistrer. Je peux la transformer en une photo en mouvement. C'est quelque chose qui n'a rien à voir avec le cinéma narratif ou la fiction. C'est une invitation à observer des choses qui, en soi, ne sont pas particulièrement dignes d'être regardées. C'est un moyen de s'arrêter et de se concentrer.
Quand j'ai fait Ten, j'ai expliqué à ceux qui me le demandaient qu'il s'agissait d'un film réduit à deux cadrages tournés avec un seul objectif. A la question sur ce que j'aurais fait par la suite, j'ai répondu en plaisantant : Je me limiterai à un seul point de vue… Je plaisantais parce qu'avec Ten je croyais être vraiment arrivé à une impasse.
Puis, je me suis retrouvé dans une maison au Nord de l'Iran, au bord de la mer Caspienne, pour écrire un scénario. J'avais la caméra DV avec moi et j'ai tourné une première vidéo sur un bout de bois poussé vers la rive par les vagues. Au fur et à mesure que les journées passaient, je me suis rendu compte que dans ces 500 mètres de plage face à la maison, il se passait plein d'événements à l'apparence anodine. Mais si on se met à les observer patiemment, c'est un monde entier qui se révèle à nous. Ainsi des idées sont nées, petit à petit.
C'est un travail qui approche la poésie, la peinture. Cela permet de se libérer de l'obligation de la narration et de l'esclavage de la mise en scène. L'auteur disparaît, il n'y a plus de mise en scène.
Avant de tourner le plan avec les chiens sur la plage, j'avais toujours pensé aux chiens en relation avec des êtres humains, jamais en relation avec d'autres chien. J'étais persuadé qu'ils bougeaient la queue seulement pour faire plaisir aux hommes. Pour la première fois, en tournant cette vidéo, j'ai assisté à un rapport affectif entre les chiens, sans qu'ils sachent que je les observais. Pour moi, c'est un film d'amour, le premier qu'il m'ait été donné de tourner. Je n'ai jamais observé aussi bien les équilibres à l'intérieur d'un groupe de chiens. Mais je ne peux pas dire avoir fait ce film et avoir mis en scène cette histoire. C'est comme si j'avais récité un poème qui était déjà écrit. Tout existe déjà, il est là pour être vu et compris. Je l'ai simplement observé.
Propos extraits de l'entretien publié dans le journal "L'Humanité", mai 2004
D’abord tout le monde est plus à l’aise devant une caméra vidéo ou digitale parce qu’il y a moins de techniciens. Cette caméra est comme un pinceau pour un peintre. C’est un outil d’artiste. Mais c’est vrai que ce sont souvent ces accidents qui donnent de bons moments dans les films. En photographie, c’est pareil. J’aime les photos où, à la dernière seconde, quelque chose d’inattendu se passe. Quand je prends une photo, je n’attends pas l’" accident " et je le provoque encore moins, mais lorsqu’un élément arrive, surtout vivant, il est bienvenu. Il faut le recevoir. Je ne sais pas qui a dit : " Ne cherches pas, attends ! " Il faut d’abord croire que celui qui cherche trouve pour ne plus chercher et finalement trouver. Il faut déjà avoir une certaine maturité pour comprendre cela.
En 1895, les premiers spectateurs du cinématographe s'étonnèrent de voir les images soudainement prendre vie sur l’écran. La reproduction du mouvement avait de quoi ravir et de quoi effrayer à la fois. Et le sujet, aussi mineur qu’il fût, parvenait toujours à gagner les faveurs du public. Mais une fois l’ébahissement de la première vision passé, le public était en droit de se lasser, et les opérateurs s’employèrent à fournir, dès les vues Lumière, un catalogue de films variés et intéressants. Ils commencèrent même à élaborer une mise en scène de la réalité, qui n’a pas cessé d’évoluer jusqu’à ce jour. Est-ce dans le but de retrouver l’émerveillement originel, celui du regard vierge de toute image mouvante, qu’Abbas Kiarostami a réalisé Five ? Il s’agit sans doute d’une des hypothèses. Car le cinéaste iranien, après avoir formulé plusieurs règles de chasteté dans 10 on Ten (2004), propose une étonnante mise en pratique : Five, soit cinq plans-séquences tournés en numérique (avec une qualité d’image moyenne), autour du thème de l’eau.
Un. La caméra fixe un morceau de bois humide, déposé par la marée sur un banc de sable. Mais les vagues, bien décidées à l’entraîner de nouveau dans leur sein, progressent inlassablement sur la plage. Bientôt, le bâton roule dans le ressac, près de reprendre sa navigation après une escale. D’un coup, il se brise en deux. Le plus gros morceau disparaît dans la mer, tandis que l’autre reste échoué sur la plage. Deux. On s’éloigne un peu pour s’installer sur une allée. Le plan s’organise en lignes et en rectangles : le ciel, la mer, les barrières et le chemin. Seuls quelques barreaux descendant vers la droite provoquent une légère dissymétrie bienvenue. Des promeneurs chaudement vêtus défilent avec empressement. Interrompant ce curieux ballet, quatre hommes s’arrêtent et bavardent. Puis ils s’éloignent à leur tour. Trois. Un groupe de chiens se réveille sur la plage avec le lever du jour. La lumière blanche de l’aube emporte les traces bleutées de la nuit finissante. Un des animaux s’écarte nonchalamment vers la gauche. Petit à petit, les autres le rejoignent. Et tout se confond dans une éblouissante clarté. Quatre. Toujours au bord de la mer, des dizaines de canards avancent vers la droite, comme suivant une improbable promenade. Soudain, le mouvement s'arrête, quelques palmipèdes s’immobilisent. Et le défilé reprend en sens inverse, jusqu’à ce que le dernier oiseau ait disparu. Cinq. La nuit, les ondulations d’une mare obscure reflètent la pleine lune. Des grenouilles accompagnent de leur chant le mouvement de l’astre sur l’eau. Mais le temps se couvre et un orage vient déranger ce spectacle. Parfois seulement, des éclairs illuminent brièvement l’étang plongé dans l’obscurité. Enfin, la pluie faiblit et le jour ne tarde pas à apparaître.
S’il semble ressortir de cette expérience audiovisuelle une volonté d’épuration radicale, dans le choix du sujet comme dans la mise en scène, il faut tout de même souligner qu’Abbas Kiarostami ne laisse pas tout au hasard. Au contraire, il se concentre d’abord sur l’élément aquatique, et plus particulièrement sur une plage de la mer Caspienne. Dès lors, il affine encore son regard en observant différents protagonistes qui y sont liés : un morceau de bois, des chiens, etc. Ensuite, il guette l’événement, même infime, qui va troubler ces personnages : une rencontre fortuite, une rupture inattendue, un déplacement, etc. Parfois, il amène lui-même la situation (il fait venir 800 canards d’élevage sur la plage) et provoque l’incident (il dirige les canards dans un sens puis dans l’autre). Enfin, il fait appel au montage quand une seule prise n’est pas satisfaisante, comme pour la dernière et très longue séquence : « La Lune et la Mare, c’est plus de trente plans fixes pour positionner la lune à un endroit bien précis de l’écran ». Même pour atteindre cette extrême sobriété cinématographique, Abbas Kiarostami emploie donc encore nombre d’éléments de mise en scène.
Présenté à Cannes en 2004, Five pouvait présenter l’intérêt de marquer une pause, un temps de repos, dans la vision effrénée des films sélectionnés. Il s’affichait alors en contrepoint efficace d’une partie des productions. Mais sorti de l’environnement festivalier, il paraît que cet étrange objet filmique gagnera plus facilement les centres d’arts que les cinémathèques personnelles. (Stéphane Tralongo)
Bonus du DVD:
Dans ce supplément de près d’une heure, Abbas Kiarostami commente des images du tournage ainsi que des extraits de Five. Il propose d’abord, en opposition avec son film, les images d’un match de football retransmises par un téléviseur. Puis il revient sur la génèse de Five et sur sa présence au bord de la mer Caspienne, alors qu’il travaille sur l’écriture d’un scénario. Ensuite, il donne quelques informations sur chacune des séquences, le plus intéressant concernant sans doute les éléments de mise en scène. Un dispositif de filets et une distribution de nourriture permet ainsi de mener à bien la séquence des canards. Pour lui, la réalisation relève d’une part du travail de différents techniciens et d’autre part d’éléments régis par d’autres lois. Pour finir, le cinéaste répond à plusieurs questions sur son projet, abordant notamment la réception du film par les spectateurs et les conditions de visionnage idéales. Il n’exclut pas d’ailleurs la possibilité de revenir plus tard à ce genre de travail expérimental. (Stéphane Tralongo)
Compositeur de la musique du film :
Bernhard Eslner
http://film.tunes.org/fr/
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