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1893 - « Monsieur Ré-dièze et Mme Mi-bémol ».(Edit)
Pas un son ne s’échappe... | |
Commentaire : M. Ré-Dièze et Mlle Mi-Bémol est une nouvelle de Jules Verne, publiée dans le Figaro illustré, no 45, 11e année (Noël 1893), puis reprise dans le recueil Hier et demain, sous une forme légèrement modifiée par Michel Verne en 1910.
Mot-Clés : musique de l'avenir, compositeur, orgue à voix enfantines, micro-tonalité, oreilles
Personnalités et œuvres citées : Fabri, Kleng, Erhart Smid, André, Castendorter, Krebs, Müller, Agricola, Kranz, Antegnati, Costanzo, Graziadei, Serassi, Tronci, Nanchinini, Callido, Sébastien Erard, Abbey, Cavaillé-Coll
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Illustrations : http://jv.gilead.org.il/zydorczak/Redieze-fr.html
Extrait.................. | « [...] Sans doute, reprit ironiquement M. Valrügis, si cette histoire se chantait au lieu de se réciter, vous y prendriez plus de plaisir, avec votre goût pour les chansons ! Mais jamais un musicien n’osera mettre pareil sujet en musique ! » Peut-être notre maître d’école avait-il raison ? Quel compositeur prétendrait faire vibrer de telles cordes !... Et pourtant qui sait ?... Dans l’avenir ?... [...] Le curé remercia l’artiste en bons termes et lui demanda ce qu’il pensait de l’orgue de Kalfermatt. « Il est bon, répondit maître Effarane, mais incomplet. – Et que lui manque-t-il donc ? N’a-t-il pas vingt-quatre jeux, sans oublier le jeu des voix humaines ? – Eh ! ce qui lui manque, monsieur le curé, c’est précisément un registre que j’ai inventé, et dont je cherchais à doter ces instruments. – Lequel ? – Le registre des voix enfantines, répliqua le singulier personnage en redressant sa longue taille. Oui ! j’ai imaginé ce perfectionnement. Ce sera l’idéal, et alors mon nom dépassera les noms des Fabri, des Kleng, des Erhart Smid, des André, des Castendorter, des Krebs, des Müller, des Agricola, des Kranz, les noms des Antegnati, des Costanzo, des Graziadei, des Serassi, des Tronci, des Nanchinini, des Callido, les noms des Sébastien Erard, des Abbey, des Cavaillé-Coll... [...] L’intérieur du vaste buffet d’orgue, cet énorme animal éventré dont les organes s’étalaient, cela me tourmentait jusqu’à l’obsession. J’en rêvais la nuit, et, le jour, ma pensée y revenait sans cesse. Surtout la boîte aux voix enfantines, à laquelle je n’eusse pas osé toucher, me faisait l’effet d’une cage pleine d’enfants, que maître Effarane élevait pour les faire chanter sous ses doigts d’organiste. [...] « Petit malheureux, tu ne sais donc pas ce que c’est qu’un comma, ce huitième de ton qui différencie le ré dièze du mi bémol, le la dièze du si bémol, et autres ? Ah ça ! est-ce que personne ici n’est capable d’apprécier des huitièmes de ton ? Est-ce qu’il n’y a que des tympans parcheminés, durcis, racornis, crevés dans les oreilles de Kalfermatt ? » [...] Mais quel est donc le projet de l’organiste ? À défaut de son appareil de voix enfantines, est-ce qu’il voudrait former un registre avec les enfants de la maîtrise ? [...] Tous les seize, nous sommes enfermés dans les tuyaux du grand jeu, chacun séparément, mais voisins les uns des autres. Betty se trouve dans le quatrième en sa qualité de mi bémol et moi dans le cinquième en ma qualité de ré dièze ! J’avais donc deviné la pensée de maître Effarane. Pas de doute possible. N’ayant pu ajuster son appareil, c’est avec les enfants de la maîtrise qu’il a composé le registre des voix enfantines, et quand le souffle nous arrivera par la bouche des tuyaux, chacun donnera sa note ! Ce ne sont pas des chats, c’est moi, c’est Betty, ce sont tous nos camarades qui vont être actionnés par les touches du clavier ! [...] Je ne me suis pas trompé. Un bruit sec retentit. C’est le bruit de la règle mobile qui distribue l’entrée du vent dans le sommier auquel aboutit le jeu des voix des enfantines. Une mélodie, douce et pénétrante, s’envole sous les voûtes de l’église au moment où s’accomplit le divin mystère. J’entends le sol de Hoct, le la de Farina ; puis c’est le mi bémol de ma chère voisine, puis un souffle gonfla ma poitrine, un souffle doucement ménagé, qui emporte le ré dièze à travers mes lèvres. On voudrait se taire, on ne le pourrait. Je ne suis plus qu’un instrument dans la main de l’organiste. La touche qu’il possède sur son clavier, c’est comme une valve de mon cœur qui s’entrouvre... » (Le Figaro illustré, Noël 1893) |
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