« Tout ce qui bouge sur un écran est du cinéma. » (Jean Renoir) |
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nocinema.org(Edit)
par Magali Babin
Nocinema.org est une application en ligne développée par Jérôme Joy rassemblant plusieurs auteurs audio provenant de la France du Canada et du Japon : Dinah Bird, Christophe Charles, Yannick Dauby, Jérôme Joy, Luc Kerléo, Alain Michon, Chantal Dumas, Emmanuelle Gibello, Jocelyn Robert et moi-même. Afin d’approfondir le sujet de la présence essentielle du son à l’intérieur du concept nocinema, j’ai créé des entrevues avec des questions ciblées pour Jérôme Joy ainsi que pour ses complices, membres du collectif nocinema.org'. Ce commentaire, sous forme de réponses aux entrevues réalisées avec les artistes, permet également de refléter l’importante dimension collective de ce projet.
« Nocinéma est un documentaire/fiction comportant une série d’interludes pour le web, dont les dénouements ne sont jamais identiques. Il s’agit d’un cinéma « improbable » en ce qu’il propose un film sans début ni fin, sans acteur, ni scénario, à l’exception des histoires que nous pouvons construire lorsque nous suivons le fil des images et des sons en streaming. Il s’agit donc d’un système automatisé construit à partir des processus de sélection en direct de streaming webcams provenant de partout autour du globe. » (site nocinema.org) Les auteurs audio alimentent régulièrement les banques de sons en y téléversant des éléments sonores tirés de leur collection personnelle. Ces sons, organisés à chaque fois selon des algorithmes en temps réel créent une bande-son homogène qui s'associe aux images.
Jérôme explique que « l’association des images avec des sons dans le but de créer une forme filmique (au sens de cinéma) permet d’expérimenter l’influence des sons sur la linéarité des images séquencées. » (site nocinema.org) Le montage des plans/images, d’une fréquence régulière d’une minute, crée plutôt une dissociation entre l’image et le son. Chaque médium devient autonome, ce qui présente une différence avec ce que nous sommes accoutumés d’expérimenter dans le cinéma. Lors de l’entrevue, Jérome ajoute que « tout se joue au moment de l'écoute : l'auditeur, par l'association fortuite entre les images et les sons, perçoit des indices possibles dans les relations entre les détails et les événements contingents dans les images, et les éléments sonores. Le principe associatif qui génère des articulations continuellement différentes entre les images et les sons est un moteur fictionnel. Il crée sans fin des fictions hypothétiques sur la base d'un scénario qui n'est qu'un programme informatique puisant dans des données et variables existantes (les webcams) et apportées (les sons). » (site nocinema.org)
N’ajustez pas votre appareil… (Edit)
Dès votre première visite sur nocinema.org vous expérimenterez rapidement les écrans noirs (ou plans noirs). Assez fréquent sur le déroulement de nocinema, « ce noir- et donc ce sonore sans vue, est essentiel au projet et ouvre sans doute encore plus que les images sur les espaces de fictions ». Les écrans noirs sont de trois natures: parce que l’image appelée de la webcam est inaccessible ou parce que la webcam elle-même est arrêtée, par l’intervention volontaire d’insertions de plans noirs, d’images noires, de durée moindre que celles des webcams, par Jérôme Joy. Et la troisième nature de plan noir : la captation nocturne d’une webcam d’un plan où n’est présente aucune lumière artificielle. Sans l’image, selon Jérôme Joy, nocinéma.org « ouvre une musique « infinie » composée mécaniquement, en proposant des espaces électroacoustiques « sans mur ».
Paroles d’audio-auteurs : qu’est-ce que le son nocinema ? (Edit)
Étant participante du projet, je me suis questionnée sur une possible définition commune de ce qui caractérise un « son nocinema ». Y a t’il des sons qui sont définitivement plus propices à l’esthétique et au système aléatoire que propose nocinema.org ?
Pour Luc Kerleo un son pour nocinema c'est « quelque chose de pas fini, d'isolé, une espèce de son brut (…) un peu comme les disques de bruitages pour films. Pour lui, nocinema rejoint son obsession du démontage, une certaine façon de remonter le temps, de décomposer. »
Jocelyn Robert parle d’un son de lieux. « Il tire son inspiration par réaction vis-à-vis le type de défilement des images; « panoramiques lents, une certaine pixellisation, des espaces anonymes et les images de nuits ».
Chantal Dumas parle de sons comportant un « mouvement interne, un travelling sonore. Elle dit avoir opté pour un certain aspect naturaliste du type paysage sonore intérieur ex. métro avec musique. »
Alain Michon caractérise le son nocinema de « son vivant » qui revit en se frottant avec un autre. « … les paysages sonores tels que je les enregistre sont souvent très au-dessous du niveau général. Parfois ils apparaissent dans les moments de silence et ces surgissements à ces moments entretiennent et renouvellent l’écoute. »
Pour Emmanuelle Gibello, il n'y a pas, réellement, de son typique nocinema mais plutôt un son propre à chacun : « Pour ma part je choisis à la fois, des sons de field recordings, qui me semblent appropriés à l'image des webcams. Comme les images proviennent du monde entier, j'aime également mettre des prises de son avec des voix en différentes langues ».
Selon Jérôme Joy; « certains mixages fonctionnent sans doute mieux que d’autres selon la nature des sons. Les sons issus de captation microphonique, de phonographies ou field recordings amènent leurs "probabilités" avec eux : nous percevons qu'ils sont ancrés dans un environnement qui est le nôtre. Et à la fois, des sons antagonistes ou paradoxaux, synthétiques, instrumentaux ou autres, participent aussi à la construction d'une ambiance, d'une humeur, d'une atmosphère. La musique de film a toujours joué là-dessus, entre bande-son et musique paradoxale. Ce qui nous rejoint est la même intensité d'interrogation sur "ce qui fait musique" — c'est un peu le principe du "no", dans nocinema, qui n'est pas une négation, mais plutôt une interrogation sur "qu'est-ce qui fait que cela fait ou que cela fabrique de". Chacun d'entre nous peut s'investir dans cette question et y apporter un point de vue qui sera complémentaire aux points de vue des autres participants. Je suis plus sensible de mon côté à ce que j'appelle la "musique étendue", c'est-à-dire à une musique qui se propagerait au-delà de ses propres murs, acoustiquement, esthétiquement et artistiquement parlant; d'où certainement mon investissement dans la musique en réseau, dans l'improvisation, dans les notions de "fabrication d'écoutes", d'écoute à distance, etc. »
En ce qui me concerne, je m’amuse, prend des risques avec des extraits de pièces finies que je coupe presque aléatoirement et sur lesquels j’expérimente ensuite certains effets avant de les propulser en mixage aléatoire à travers le système. Puis il y a aussi les sons de type « field recordings », des ambiances instantanées et parfaites selon moi pour ce type de diffusion, les enregistrements environnementaux offrent une dimension d’espace, un lieu duquel à peu près n’importe quel autre son peut surgir, s’ajouter et se fondre.
Fabrication / Improvisation(Edit)
Pour Jérôme Joy, l’improvisation est au cœur du projet. L’activité du système de mixage automatique offre les possibilités, presque infinies, de l’aléatoire. Nous improvisons en choisissant les sons, en réponses ou en réactions aux sons précédents. Il y a également un effet d’improvisation par la relation entre les sons et les images streamées. Finalement ce processus de création « mécanique » fonctionne aussi par accidents, réponses et réactions. Ce sont là des « mécanismes » de créations essentiels lors d’une improvisation musicale. Dans cette recherche de musique étendue, Jérôme Joy propose de nouvelles interfaces sur nocinema.org comme Audiomix. Il s’agit d’une interface uniquement sonore qui permet d’improviser avec l’intégralité des banques de sons. Un « instrument » qui génère une multitude de sons avec lesquels nous pouvons intervenir en direct, soit lors de concerts en réseaux ou encore lors de performances en publique.
En tant que musicienne, j’aime « assister » au déroulement de nocinema.org. Je syntonise régulièrement le site sans l’image juste pour une écoute passive, comme une musique infinie. Cela dit, lorsque j’observe les images, mon esprit est actif. Je me fais mon cinéma, j’imagine alors que quelque chose va se passer, juste là, et que j’en serai le témoin anonyme. Puis à ce moment précis, l’histoire continue dans un autre lieu, une lumière différente éclaire une scène calme et apaisante. C’est lorsque je regarde le film, l’histoire, que j’apprécie les sons que j’ai transformé sans préalablement écouter le résultat. Ainsi je reste dans la surprise et le questionnement, et non uniquement dans la reconnaissance de mes sons.
Magali Babin
2009.