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6. LE CONTEXTE HISTORIQUE DE LA MUSIQUE EN RÉSEAU(Edit)
La musique en réseau poursuit et participe à tout un cortège de problématiques qui animent l'histoire de la musique.
6.1. L’extension des matériaux sonores et de la lutherie(Edit)
Le développement de nouveaux instruments est une question majeure dans la musique du XXIème siècle depuis la naissance de l'électroacoustique, mais aussi depuis l'exploration du timbre musical et de la microtonalité au début du siècle dernier qui a pu amené les compositeurs a intégré des modifications ou préparations d'instruments voire même la création d'instruments. Quelques exemples emblématiques sont ceux de John Cage avec le piano préparé (à la suite d'Henry Cowell), d'Harry Partch avec ses instruments fabriqués à partir d'accordages non tempérés, et de Conlon Nancarrow avec la musique mécanisée.
De même, les instrumentistes n'ont cessé durant la seconde moitié du XXème siècle d'explorer les modes techniques de jeux qui ont permis d'étendre la palette sonore acoustique (puis électroacoustique) des instruments à partir de leur facture historique. Chaque famille d'instruments a ainsi élargi son vocabulaire en se basant d'une part sur un prolongement des modes de jeux connus en leur offrant une variabilité plus fine et plurielle en termes de timbre et d'articulation de jeux (par exemple, les doigtés pour les instruments à vent), d'autre part en intégrant dans le jeu les registres autrefois délaissés ou écartés car considérés comme exogènes à la musique (les sons bruités, sons des mécaniques, etc.), et finalement en réinvestissant les connaissances physiques et organologiques des instruments (les multiphoniques, les sons transitoires, etc.). Ceci a pu se développer jusqu'à l'intégration de l'instrumentiste comme matériau sonore lui-même, ou parfois en tant qu'acteur (dans le sens du théâtre musical et parfois pour répondre et problématiser le concert en tant qu'événement audio-visuel); dans certains cas la voix de l'instrumentiste en tant qu'excitateur supplémentaire de l'instrument a été très souvent employée pour construire des sonorités plus complexes. La conjonction entre l'exploration des limites instrumentales par les compositeurs dans l'écriture et celle développée par les instrumentistes pour offrir des registres instrumentaux élargis, a permis l'invention de notations et de modes nouveaux d'écriture. Un peu plus tard, les découvertes et recherches en psycho-acoustique et en physique / acoustique instrumentale (notamment à l'IRCAM[1]) ont poursuivi ces investigations menées par les compositeurs et les instrumentistes, et ont permis d'envisager la construction d'extensions d'instruments, voire même d'articuler des parties virtuelles (ou prothèses) aux instruments existants (par exemple, la flûte virtuelle développée à l'IRCAM (Dupire, Farinone & Cubaud, 2005)[2]) et de midifier des instruments en les assemblant avec des processus de contrôle (« controllers ») et de captation (capteurs) — un des exemples notables est celui du Disklavier (développé par la firme Yamaha).
Il s'agit en quelque sorte d'une nouvelle lutherie combinant électronique et acoustique (ainsi qu'informatique) à la fois sollicitant et répondant à un nouveau répertoire, et accompagnant également l'arrivée des synthétiseurs et échantillonneurs dans l'instrumentarium de la musique contemporaine. Ceci prolonge la construction d'instruments depuis l'avènement de l'électricité dont quelques exemples sont notoires : Ondes Martenot, Theremin, etc. (à la suite du saxophone (1846), tuba Wagner (1875), sousaphone (1898), tubax (1999)[3], etc.). L'évolution de la facture instrumentale et de la lutherie n'a jamais cessé et il est tout-à-fait légitime de penser que la musique en réseau peut mettre à jour à nouveau des questions de facture, d'organologie et de lutherie.
En parallèle, de nouveaux modes de composition liés à l'intégration de l'aléatoire et de processus de variabilité (des jeux, des matériaux, des combinatoires; comme chez John Cage, Cornelius Cardew ou Earle Brown, jusqu'aux partitions graphiques qu'ils ont réalisées[4]) se sont développés; ce qui n'avait rien d'inédit si nous nous référons à la Musikalisches Opfer (« L'Offrande Musicale ») de J.S. Bach (1747), œuvre dans laquelle l'instrumentation n'est déterminée qu'en partie, ou encore au Musikalisches Würfelspiel (« Jeu de dés musical ») de W.A. Mozart (1787). Par ailleurs, la composition combinatoire a trouvé un de ses aboutissements dans la musique répétitive (Vexations de d'Erik Satie, et plus récemment les œuvres de Steve Reich) et dans la musique dodécaphonique (à l'exemple des œuvres d'Anton Webern) et sérielle.
L'électroacoustique (et la musique acousmatique), de son côté, a permis d'intégrer entre autres la manipulation des sons à partir de leur enregistrement et de leur diffusion dans des dimensions spatiales (par le biais de l'amplification et de la construction de systèmes voire d'orchestre de haut-parleurs), et le développement de la synthèse électronique des sons a élargi la palette des matériaux sonores et des timbres.
Á l’orée du XXème siècle, l'apparition des techniques des télécommunications, notamment avec le téléphone, a donné la possibilité de développer des instruments pour jouer et écouter à distance la musique et d'envisager ainsi le développement actuel de la musique en réseau[5]. Deux références historiques sont le « Telharmonium » de Thaddeus Cahill en 1897, et l'« Aconcryptophone » (ou « Acoucryphone » ou encore « Enchanted Lyre) de Charles Wheatstone en 1821 (et son « Diaphonicon » en 1822) (Munro, 1891[2008])[6]; nous pourrions y associer aussi plusieurs références littéraires qui ont imaginé la musique en réseau et le transport des sons à distance par des techniques de transmission, dont, par exemple: la description d'un concert en réseau par Jules Verne dans Une Ville Idéale (Verne, 1875[1999])[7] (en parallèle de sa description d'un concert acousmatique, qu'il appelle « concert électrique », dans son ouvrage Paris au XXème siècle (Verne, 1863[1994][8]); le globe terrestre sonore sur lequel le toucher d'un lieu permet d'entendre en direct les sons de l'environnement qui y est capté à distance par l'entremise de tuyaux, dans Giphantie de Tiphaigne de la Roche[9] (ce qui rappelle la description des « sound-houses » de Francis Bacon dans New Atlantis en 1627[10]); et à une époque plus récente, le piano microphonique décrit par Guillaume Apollinaire dans Le Roi-Lune[11], chaque touche étant reliée à un microphone placé dans différents lieux du monde; deux dernières références peuvent être aussi associées, la première plus éloignée étant celle des « Paroles Gelées » citée par Rabelais[12], et la seconde au début du XXème siècle, étant le texte La Conquête de l'Ubiquité par Paul Valéry en 1928[13]. Ces projections ont ensuite été poursuivis au milieu du XXème siècle par notamment John Cage avec Credo in US (1942) avec l'utilisation de radios comme matériau musical en direct, investigation qu'il a poursuivie dans Imaginary Landscape No. 4 for Twelve Radios créée en 1951[14]. Nous pouvons noter dans le même sens Kurzwellen de Karlheinz Stockhausen (1968) basée sur la réaction, l’imitation et les caractéristiques des ondes courtes et durant laquelle les musiciens interfèrent avec des récepteurs radio d’ondes courtes.[15]
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- ↑http://recherche.ircam.fr/equipes/analyse-synthese/tassart/doc/beauxarts/note-13.fr.html
- ↑Dupire J., Farinone J-M. & Cubaud P. (2005). Un nouveau périphérique : la flûte virtuelle. Centre d’Etudes et de Recherches en Informatique, Conservatoire National des Arts et Métiers, Paris, In “Atelier Formations transdisciplinaires en interaction sensorielle pour la création artistique de IHM”, (p. 2).
- ↑http://www.contrabass.com/pages/tubax.html
- ↑Par exemple : Teatrise (1963-1967) de Cornelius Cardew.
- ↑« La médiatisation technologique du phénomène musical est une révolution déjà ancienne, qui s'est incarnée dans la succession des découvertes scientifiques et de leurs applications industrielles au cours du XXème siècle. La possibilité même d'une médiatisation du phénomène musical résulta de la technique de la reproduction et de la technique de la télétransmission, conquêtes scientifiques qui ont libéré la production et la diffusion du phénomène musical des deux contraintes traditionnelles de l'espace et du temps. La technique de la reproduction mit fin à la simultanéité, jadis nécessaire, entre la production du phénomène musical et sa consommation. La technique de la télétransmission permit la consommation musicale à distance, en direct ou en différé. Ces deux techniques mirent un terme à l'exclusivité absolue du spectacle vivant dans la production et la consommation musicales et favorisèrent divers processus de stockage du phénomène musical détruisant l'exclusivité du travail humain dans la production musicale. » (Bernard Bovier-Lapierre, in Art-Sciences-Technologie, sous la direction de Jean-Claude Risset (Risset, 1998; 228)
- ↑ Munro, John (1891[2008]). Heroes of the Telegraph. Published by BiblioBazaar, 2008, Chapter 1, (pp. 22-23); et aussi : Published by Icon Group International Inc (Webster’s French Thesaurus Edition), (p. 14).
- ↑Verne, Jules (1875[1999]). Une Ville Idéale en l’an 2000. Édition annotée par Daniel Compère, maître de conférence à l’Université de Paris III Sorbonne Nouvelle, Édition CDJV - La Maison de Jules Verne, sous la direction de Jean Paul Dekiss, Amiens, 1999, (pp. 18-29).
- ↑Verne, Jules (1863[1994]). Paris au XX° Siècle. Hachette, Le Cherche Midi éditeur, Le Livre de Poche, 1994, (p. 61 et pp. 163-164).
- ↑Tiphaigne de la Roche, C-F (1760[1990]). Giphantie. In “Voyages aux pays de nulle part”, éd. Francis Lacassin, Paris, Robert Laffont (Coll. Bouquins), 1990.
- ↑Bacon, Francis (1627[1864]). The New Atlantis. In “The Works of Francis Bacon”, collected and edited by James Spedding, Robert Leslie Ellis, Douglas Denon Heath, Vol. V, New York: Hurd and Houghton, Boston: Taggard and Thompson, 1864; Bacon, Francis (1627[2000]). La Nouvelle Atlantide. Translated by Michèle le Dœuff et Margaret Llasera, Paris : GF Flammarion (1995), 2ème édition revue 2000.
- ↑Apollinaire, Guillaume (1916). Le Roi-Lune. Mercure de France, 1916; In “Le Poète Assassiné”, 1917 & “Le Poète Assassiné, contes”, L'Édition, Bibliothèque de Curieux, 1916; Ed. Mille et Une Nuits, texte intégral, 1995.
- ↑Rabelais, François (1552). Gargantua and Pantagruel - Livre IV, Chap. LV - fabulae LXXXIX - VOCES FRIGORE CONCRETÆ. (pp. 80-84), et Livre IV, Chap. LVI - Comment entre les parolles gelees Pantagruel trouva des mots de gueule, (pp. 86-91), In “Œuvres de Rabelais”, Édition variorum, avec des remarques de Le Duchat, de Bernier, de Le Motteux, de l’Abbé de Marsy, de Voltaire, de Ginguené, etc., Tome Septième, “Commentaire historique - Livre IV, Chapitre LV, Dalibon Libraire, Paris, Palais Royal, Galerie de Nemours, Imprimerie Jules Didot aîné, imprimeur du roi, Rue du Pont-de-Lodi, n°6, MDCCCXXIII, 1823.
- ↑Valéry, Paul (1928). La Conquête de l’Ubiquité. In “Pièces sur l’Art’, and in “De la musique avant toute chose” (textes de Paul Valéry, Henri Massis, Camille Bellaigue, etc.), Editions du Tambourinaire, Paris, 1928; Reprint in “Oeuvres”, vol.II, Coll. "La Pléiade", Gallimard, Paris, 1960, (pp.1284-1287).
- ↑ Les instructions précisaient que l'œuvre « used radio transistors as a musical instrument. The transistors were interconnected thus influencing each other.» (Pritchett, J. (1993). The Music Of John Cage. Cambridge University Press, Cambridge, UK)
- ↑http://home.earthlink.net/~almoritz/kurzwellen.htm