Intonation pure, Intensité pure(Edit)
(JUST INTONATION — JUST INTENSITY)
La notion de "musique étendue" se comprend au premier abord comme une extension du phénomène musical liée à un débordement spatial et de sa pratique :
- la musique qui se diffuserait au-delà des murs des salles dans lesquelles elle est donnée, voire même l'opération de la jouer en dehors de ces salles : l'effrangement et la propagation de la musique ; ceci serait aussi engagé dans la modification de la disposition spatiale spectatorielle pour organiser et distribuer spatialement et architecturalement de manière différente la production et la diffusion musicales dans un espace ;
- une compréhension de la musique au-delà des définitions et des consensus qui lui donnent un périmètre d'action et de réception musicales : une conception "élargie" de la musique (au sens beuysien) ;
- et une opération de dépassement des éléments et des actions qui permettent de jouer de la musique : une extension des moyens de la musique, amenant un élargissement des échelles de timbre et du spectre sonore joués par la musique.
L'assertion peut aussi se comprendre dans un registre temporel : une musique sans début ni fin qui s'abstrait d'une durée fixée (et qui s'étend donc dans le temps), et qui dans ce sens autoriserait à aborder des systèmes continus de génération et de jeu musical (automatiques, programmés) au-delà de la production humaine et instrumentale : une musique dont la durée devient illimité.
La notion d'étendue est liée et se réfère directement à la propriété du son qui est de se propager : ainsi toute musique utilise des étendues de sons, acoustiquement parlant, elle peut aussi s'étendre au-delà et au sein des salles par différents moyens et relais, ceux de retransmission et de diffusion (la radio, l'enregistrement, l'internet, etc.), et, dans les pratiques les plus contemporaines, elles intègrent des techniques dites étendues de jeu instrumental qui vont au-delà de la littérature historique et du répertoire d'une musique d'un genre donné.
Mais le fait de la "musique étendue" est justement de se baser sur la propriété de propagation sonore pour se constituer, et ceci en dehors de tout autre principe dont le fondement serait "hors-son", hors des propriétés sonores et acoustiques.
L'espace sonore est une vision théorique, il n'existe pas (mais tout espace fait d'air a une acoustique), ce sont les propagations et les étendues des sons qui font sonner les espaces et qui mobilisent leurs propriétés acoustiques sous certaines conditions.
En fait le terme de "musique étendue" permet d'approcher aussi d'autres dimensions :
- la musique s'appuie sur un dispositif, celui du concert et de son espace (topos), qui est resté inchangé même si les renouvellements de formes esthétiques de la musique n'ont pas cessé à travers son histoire ;
- la musique étendue explore, excède et sature ce dispositif ; (où commence la musique ? où finit-elle ?)
- la musique a multiplié ses moyens (de production, de diffusion) (tekne), des instruments acoustiques, aux instruments d'enregistrements, et aux instruments numériques (synthèse sonore, générative, etc.), entre présence (synchronisation avec la musique qui se déroule dans le même espace) et reproductibilité (la musique devenant indépendante des lieux et des moments) ;
- la musique étendue ne s'appuie pas sur des instruments particuliers et sur une multiplication des supports et des médias mais sur la synchronisation des lieux et des moments et de leurs expériences et de leurs accessibilités ;
- la musique se fonde sur une répartition marquée des rôles : entre créateur et auditeur, entre expérience collective (favorisée) et expérience individuelle (défavorisée) ;
- la musique étendue amenuise ses rôles par la primauté donnée à l'expérience (esthétique) du "présent" (même si les moyens de réalisation sont succints, la "scénographie" sonore et musicale réduite, voire inexistante, la manipulation sonore (le faire musical) absente) et par une absence de hiérarchie entre l'expérience individuelle et celle collective, par un rejet d'une opposition entre son et musique (entre sons captés ou relayés et sons construits et organisés) (entre expression et impression) ;
- la musique est devenue une production linéaire, chronologique et discursive (conduite de l'émotion à partir d'une écriture hors-son à partir de la compréhension d'un "langage" mis en œuvre) qu'on ne peut réduire à une mémorisation ;
- la musique étendue, inexpressive, propose un art de l'expérience de l'écoute par la mémoire (de l'expérience) et la topologie (la propagation et l'étendue des sons dans les lieux, l'immersion), potentielles que l'auditeur doit moduler et construire dans des synchronicités (avec les sons, avec les lieux, avec les moments) ;
- la musique, de par le concert, est ritualisée, donc limitée temporellement et spatialement (épistémè) ;
- la musique étendue se constitue sur les singularités des expériences issues des interactions entre les étendues des sons et les corps des auditeurs (/créateurs) ;
- il ne s'agit plus d'une théorie des techniques, des représentations et des discours, mais d'une théorie du sensible et des expériences : de la propagation et la réception sonores et de la mémoire des auditeurs entre les lieux et les moments (les relations, les situations, les synchronisations, les désynchronisations), de l'interrogation de la circulation des sons et des expériences d'un endroit à un autre, d'un dispositif à un autre, d'un moment à un autre ("wayfarer", Tim Ingold), invitant à la mobilité de l'auditeur dans les espaces, et proposant à l'auditeur de ne plus confondre la durée de la musique à celle de son écoute (praxis).
Ainsi, nous pourrions dire (à la suite de Martin Seel, que l'attitude esthétique conçoit le monde comme une forme de vie, et non pas comme un lieu de vie (attitude scientifique) ni comme un lieu pourvoyeur (attitude économique) — (Martin Seel, "Aesthetic Arguments in the Ethics of Nature", Thesis Eleven, 32, 1992, p.88.).
Dans ce sens le philosophe Arnold Berleant conçoit une esthétique environnementale fondée sur l'attention perceptuelle et sur l'expérience continuelle du monde :
La musique pourrait être définie comme un art social-environnemental. [...] En fait le terme "musique" est un raccourci pour parler de l'ensemble d'une situation expérientielle. La "musique en soi" est une synecdoque puisque le son (musical) est inséparable de (ce) qui le produit et de celui qui l'entend (évidemment cela peut être la même personne). — (Arnold Berleant, (2009) “What Music Isn’t and How to Teach It.” Action, Criticism, and Theory for Music Education 8/1: 54-65. http://act.maydaygroup.org/articles/Berleant8_1.pdf ) | Music could better be described as a social-environmental art. [...] In fact, the word music is actually a shorthand way of speaking of an entire experiential situation. “Music itself” is thus synecdochic, since musical sound is inseparable from an agent who produces and one who hears it. (Obviously they may be the same individual.) — (Arnold Berleant, (2009) “What Music Isn’t and How to Teach It.” Action, Criticism, and Theory for Music Education 8/1: 54-65. http://act.maydaygroup.org/articles/Berleant8_1.pdf ) |
Un environnement conçu par un artiste est une construction perceptive fabriquée qui concentre les caractéristiques qui se retrouvent dans tous les milieux. [...] L'engagement esthétique renonce aux séparations traditionnelles entre le critique et l'objet d'art, entre l'artiste et le spectateur, et entre l'artiste et les autres. [...] Les occasions où l'appréciation esthétique peut se développer sont illimitées et peuvent impliquer des objets quelconques. En outre, l'implication esthétique ne doit pas être rare ou restreinte. Elle est seulement limitée par nos capacités de perception et par notre volonté d'y participer. Dans le même temps, l'expérience esthétique ne domine pas toutes les situations. — (Arnold Berleant, (2007) "On Getting Along Beautifully: Ideas for a Social Æsthetics", In Aesthetics in the Human Environment, by Pauline von Bonsdorff, pp. 12-29) | An environment devised by an artist is a fabricated perceptual construct that concentrates features found in every environment. [...] Aesthetic engagement renounces the traditional separations between the appreciator and the art object, between the artist and the viewer, and between the performer and these others. [...] The occasions on which aesthetic appreciation can develop are unlimited and can involve any objects whatsoever. Further, aesthetic involvement need not be rare or restricted. It is limited only by our perceptual capabilities and our willingness to participate. At the same time, aesthetic experience does not dominate every situation. — (Arnold Berleant, (2007) "On Getting Along Beautifully: Ideas for a Social Æsthetics", In Aesthetics in the Human Environment, by Pauline von Bonsdorff, pp. 12-29) |
Dans ce sens donné à l'environnement nous sommes en immersion dans le monde, impliqués dans un processus constant d'action et de réaction. Il n'est pas possible de ne pas en faire partie. L'interaction physique entre le corps et son environnement, l'interconnexion psychologique entre la conscience et la culture, et la dynamique harmonique par l'attention sensorielle rendent l'être humain inséparable de la situation environnementale. Les dualismes traditionnels, tels que ceux qui se basent sur la séparation de l'idée et de l'objet, de soi et des autres, de la conscience interne et du monde externe, disparaissent dans cette expérience intégrante de l'individu et l'espace. Une nouvelle conception de l'être humain émerge : organique, consciente, sociale, telle une entité expérientielle qui est à la fois produite et génératrice des forces environnementales. Ces forces ne viennent pas seulement des objets physiques et de leurs conditions, tel que dans le sens usuel que l'on donne à l'environnement. Elles comprennent aussi les conditions somatiques, psychologiques, historiques et culturelles. L'environnement est la matrice de telles forces. En tant que partie de l'environnement, nous formons et à la fois nous sommes formés par les qualités expérientielles de l'univers dans lequel nous habitons et vivons. Ces qualités constituent le domaine perceptif dans lequel nous engageons des expériences esthétiques, formé par la multitude des forces qui sont agissantes en son sein. [...] Je pense que nous pouvons découvrir certains traits communs entre nos activités et les expériences que nous menons avec les nombreuses formes artistiques : elles sont toutes des occasions que nous pouvons appeler esthétiques. — (Arnold Berleant, (2002) "Notes For a Cultural Æsthetic", In Koht ja Paik / Place and Location, ed. Virve Sarapik, Kadri Tüür, and Mari Laanemets, Eesti Kunstiakadeemia, 2002, pp. 19–26) | In this sense of environment, people are embedded in their world, implicated in a constant process of action and response. It is not possible to stand apart. A physical interaction of body and setting, a psychological interconnection of consciousness and culture, a dynamic harmony of sensory awareness all make a person inseparable from his or her environmental situation. Traditional dualisms, such as those separating idea and object, self and others, inner consciousness and external world, dissolve in the integration of person and place. A new conception of the human being emerges as an organic, conscious, social organism, an experiential node that is both the product and the generator of environmental forces. These forces are not only physical objects and conditions, in the usual sense of environment. They include somatic, psychological, historical, and cultural conditions, as well. Environment is the matrix of all such forces. As part of an environmental field, we both shape and are formed by the experiential qualities of the universe we inhabit. These qualities constitute the perceptual domain in which we engage in aesthetic experience, a domain shaped by the multitude of forces acting on it. [...] I suspect that we may discover certain common features in people's activities and experiences with the many artistic forms, occasions we can call aesthetic. — (Arnold Berleant, (2002) "Notes For a Cultural Æsthetic", In Koht ja Paik / Place and Location, ed. Virve Sarapik, Kadri Tüür, and Mari Laanemets, Eesti Kunstiakadeemia, 2002, pp. 19–26) |
Suite à la démonstration d'Arnold Berleant à propos de nos expériences environnementales en tant qu'expériences esthétiques, nous pouvons ouvrir une question qui se pose à la musique étendue : Toute expérience est-elle nécessairement esthétique du seul fait qu'elle implique la perception sensible ? |
Une hypothèse sous-jacente de la "musique étendue" et donc de l'expérience de l'illimité musical et sonore est celle que jouer de la musique est activer un espace.
Habituellement la musique est prévue pour être jouée dans un et des espaces d'écoute. Ces espaces organisés et architecturés de l'écoute se sont normalisés de la même manière que l'utilisation dans la musique du spectre sonore et de l'harmonie musicale (sur le socle du tempérament égal). Ces standardisations touchant ces éléments, tout autant que la nature des sons et leur amplitude, ont été réglées afin d'écarter
- les simultanéités dites inharmonieuses (dont le bruit trop riche en harmoniques)
- et les intensités extrêmes (dont les tensions gênent la "clarté" de la musique), du plus ténu à l'extrême fortissimo
- qui tous deux jouent le rôle de filtre de l'espace acoustique — comme en a pu jouer Glenn Gould à sa manière.
« Un jour, alors que j’avais à peine une dizaine d’années, j’étais en train de travailler [sur une fugue de Mozart] quand tout à coup on a mis en marche un aspirateur à côté du piano, et je n’arrivais plus à m’entendre jouer. À cette époque je n’étais pas en très bons termes avec la femme de ménage, et la chose était faite à dessein. Je ne pouvais presque plus m’entendre. Mais je me suis mis soudain à sentir ce que j’étais en train de faire - la présence tactile de cette fugue, représentée par la position des doigts, et représentée aussi par le genre de son qu’on obtient sous la douche en secouant la tête avec l’eau qui ressort par les deux oreilles. C’était la chose la plus lumineuse, la plus excitante qu’on puisse imaginer - le son le plus extraordinaire. [La fugue] décollait - tout ce que Mozart n’était pas vraiment parvenu à faire, je le faisais pour lui. Je prenais brusquement conscience du fait que l’écran spécial à travers lequel je regardais tout cela, et que j’avais dressé entre moi-même et Mozart et sa fugue, était exactement ce dont j’avais besoin - [c’est ainsi], je l’ai compris plus tard, qu’un certain processus mécanique devait s’interposer entre moi-même et l’œuvre d’art à laquelle je travaillais. [...] ... dans les passages piano, je n’entendais littéralement plus rien de ce que je jouais. Bien entendu, je sentais une relation tactile avec le clavier, qui est lui-même chargé de tant d’associations acoustiques. Je pouvais donc imaginer ce que je faisais, mais sans réellement l’entendre. La chose étrange était que soudain tout se mettait à sonner mieux que ce n’était le cas sans l’aspirateur, et particulièrement les endroits où je ne pouvais plus m’entendre du tout. [... ] Ce que j’ai appris de la rencontre fortuite de Mozart et de l’aspirateur, c’est que l’oreille interne de l’imagination est un stimulant beaucoup plus puissant que tout ce qui peut provenir de l’observation extérieure. » — (Glenn Gould, "The Well Tempered Listener", film télévisé, CBC, 1970 - cité par Geoffrey Payzant dans Glenn Gould, "Un homme du futur", trad. L. M. et T. Shipiatchev modifiée, Paris, Fayard, 1983, p.73, p. 155.) « placer, de chaque côté du piano, une radio ou, mieux encore, une radio d’un côté et une télévision de l’autre, et mettre toute la sauce. [...] il fallait que le niveau [sonore] soit suffisamment élevé pour que, tout en sentant ce que je faisais, je perçoive en premier le son de la radio, ou celui de la télé, ou, mieux encore, les deux ensemble. J’étais en train de séparer, à ce moment-là, ma concentration en deux parties... » —( Glenn Gould, Entretiens avec Jonathan Cott, trad. J. Drillon, Paris, Fayard, 1983, p.57.) À ce sujet : "L’aspirateur, branché sur la machine corps-piano-(œuvre), fonctionne comme un prisme. Ce genre de processus mécanique de désensibilisation matérielle, extérieur à l’architecture des œuvres, a ses répondants dans les procédés de reconstruction par lesquels Gould intervient analytiquement dans leur organisation formelle (contrepoint, rythme, effets dynamiques, phrasé, ornementation, sans parler de toutes les astuces de montage autorisées par les technologies d’enregistrement)." — (Élie During, "Glenn Gould : l’aspirateur et autres procédés", http://www.musicafalsa.com/article.php3?id_article=63 — "Logiques de l'exécution : Cage / Gould", In Critique, nº639-640, dossier « Musique(s). Pour une généalogie du contemporain », août-septembre 2000, http://www.ciepfc.fr/spip.php?article51 ) |
Ainsi la musique s'est structurée et, en fin de compte, a établi un langage que l'écoute décode en dehors de tout élément contextuel. Elle a structuré des discours musicaux et n'a plus structuré ni fait osciller et moduler son environnement (dans le sens d'activer l'espace, d'en faire l'expérience, autant spatialement que temporellement). Autant le tempérament est devenu égal, autant l'échelle d'intensité l'est devenue également.
Pour illustrer cette hypothèse de la musique comme filtre de l'environnement, les œuvres de La Monte Young sont à ce sujet remarquables et concernent principalement l'exploration du spectre harmonique :
- que cela soit au travers de l'immersion sonore
- par l'intensité et le volume sonores (jusqu'à leurs extrêmes)
- comme dans "Poem for Chairs, Tables, Benches, Etc. (Or Other Sound Sources)" (1960), "Two Sounds" (1960), "X to Henry Flynt'' (1960), et "Theatre of Eternal Music" (1964-present),
- par les superpositions de "flux", en jouant de leurs filtrages entre eux et de leurs combinaisons,
- "Improvisation sopranino saxophone" (1963, au Yam Festival avec Allan Kaprow, improvisation en plein air avec klaxons de voiture, pour "Tree, a Happening"), "Oceans" (1969, une session vocale avec Marian Zazeela au bord de l'océan), etc.)
- et par les simultanéités harmoniques (masses, accords, épaisseurs)
- "Drift Studies" (1967-present), "Dream House" et "Theatre of Eternal Music", etc.)
- par l'intensité et le volume sonores (jusqu'à leurs extrêmes)
- et au travers de la "just intonation", au-delà du tempérament égal
- développée par exemple dans "The Well-Tuned Piano" (1964-present), les "Symmetries" et "Prime Time Twins", et dans "Just Charles & cello" (2002-2003).
La "just intonation" (ou gamme naturelle) poursuit l'exploration du tempérament à intervalles justes et par division multiple de Helmholtz ("Théorie physiologique de la musique fondée sur l'étude des sensations auditives", Paris : Masson, 1868 ; "On the sensations of tone as a physiological basis fo the theory of music", London, 1885), afin d'utiliser des rapports harmoniques "purs" et ainsi l'utilisation des harmoniques supérieures (ou partiels de rang supérieur au-délà de 7) pour l'obtention de combinaisons sonores inédites perçues.
- développée par exemple dans "The Well-Tuned Piano" (1964-present), les "Symmetries" et "Prime Time Twins", et dans "Just Charles & cello" (2002-2003).
En place et lieu d'une musique expressive ou expressionniste (ce qui est pourtant relevé par la plupart des commentateurs), ce qui semble intéresser La Monte Young est l'entrée dans le son et une immersion musicale sans équivalent, en durée, en espace et en action.
Conversation With La Monte Young By Richard Kostelanetz, 1968. In Richard Kostelanetz. "The Theatre of Mixed Means - An Introduction to Happenings, Kinetic Environments, and Other Mixed-Means Performances". New York : The Dial Press, 1968, pp. 183-218 ; and in La Monte Young/Marian Zazeela," Selected Writings". Munich, Germany: Heinar Friedrich. ref. p. 197 Source : http://theater.ua.ac.be/bih/pdf/1968-00-00_lamonteyoung_conversationkostelanetz.pdf http://www.ubu.com/historical/young/young_selected.pdf |
Kostelanetz — Vous avez parlé "de tenter d'entrer dans le son". Comment cela marche-t-il ? La Monte Young — Il y a plusieurs façons d'approcher cela. La première est lorsque vous vous concentrez tellement sur un son donné que tout ce qui survient est du son. Même si je reste assis ici, tout ce que je suis est un élément de son. Une seconde approche est de déambuler dans un espace où le son est très présent physiquement, où il est tellement enveloppant que vous "êtes" dans le son. Cet état est celui des auditeurs qui se déplacent dans l'espace de mes concerts. |
Liz Kotz analyse cette question d'immersion et des conditions nécessaires pour proposer une expérience du son : |
Cette dimension agressive physique émerge aussi dans l'utilisation de La Monte Young des sons longs et continus joués à un volume sonore extrême, qui permettrait ainsi aux auditeurs d'"entrer dans le son", selon les termes de Young, afin de développer une relation viscérale physique et une expérience avec le son au travers d'une immersion intense de longue durée. Henry Flynt analyse que le but de cette immersion dans le "son continu" était "la production d'un état altéré et modifié à l'aide d'une attention focalisée et d'une fatigue perceptive par la saturation", amenant l'auditeur à cet état par la force d'une sensation structurée. À partir de 1962, La Monte Young se tourne vers l'exploration systématique des sons continus dans la musique "drone", par l'utilisation de combinaison de fréquences subtilement modulées et superposées diffusées parfois à des volumes et intensités sonores extrêmes sur de longues durées, ce qu'il avait commencé à mener et à développer depuis les années 60. — (Liz Kotz, "Post-Cagean Asthetics and the 'Event' Score", In October Magazine, Vol. 95, Winter 2001, MIT Press, pp. 55-89, http://faculty.ucr.edu/~ewkotz/public_html/texts/oct95.pdf , http://faculty.ucr.edu/~ewkotz/publications.html ) |
La Monte Young dans sa "Conférence 1960" ('Lecture 1960'') décrit l'expérience prolongée d'un son continu comme l'expérience d'un environnement (dans lequel nous sommes en immersion) par l'écoute mais aussi et surtout par l'expérience physique d'un espace acoustique. Cette expérience corporelle musicale induite par l'écoute et par les sensations sonores participe de nos modulations des espaces et des étendues sonores que nous poursuivons continuellement (au-delà du moment musical à proprement dit). Nous acquérons par elle une perception et une expérience renouvelée du monde autour de nous, à l'aide de ces "changements de plans" ou "changements d'intensités" : par syntonisation, par filtrage, par modulation, par oscillation, par immersion, etc. |
Sometimes we produced [Terry Riley and I] sounds that lasted over an hour. If it was a loud sound my ears would often not regain their normal hearing for several hours, and when my hearing slowly did come back it was almost as much a new experience as when I had first begun to hear the sound. These experiences were very rewarding and perhaps help to explain what I mean when I say, as I often do, that I like to get inside of a sound. When the sounds are very long, as many of those we made at Ann Halprin's were [during our collaboration with the dance company in 1959 and 1960], it can be easier to get inside of them. Sometimes when I was mekaing a long sound, [...] I began to feel the parts and motions of the sound more, and I began to see how each sound was its own world and that this world was only similar to our world in that we experienced it through our own bodies, that is, in our own terms. [...] By giving ourselves up to [the sound and the world], I mean getting inside of them to some extent so that we can experience another world. This is not so easily explained but more easily experienced. [...] We find [...] that when the sound stops, or we leave the area in which the sound is being made, or we just plain leave the world of the sound to some degree, that the world into which we enter is not the old world we left but another new one. — (La Monte Young, "Lecture 1960", in "Happening and Other Acts", Mariellen Sandford (Ed.), New York : Routledge, 1995, p. 79) | Parfois nous produisions des sons qui se prolongeaient au-delà d'une heure. Si c'était un son puissant, mes oreilles ne retrouvaient leur écoute normale qu'après plusieurs heures et quand mon ouÏe revenait lentement, c'était presque comme une nouvelle expérience comme quand j'avais commencé à écouter le son. Ces expériences étaient très enrichissantes et aident peut-être à expliquer ce que je veux dire quand je dis, et je le dis souvent, que j'aime entrer dans un son. Quand les sons sont vraiment très longs, comme l'étaient ceux que nous produisions [avec Terry Riley] chez Ann Halprin [lors de nos collaborations avec sa compagnie de danse en 1959 et en 1960], il est peut-être plus facile d'un entrer. Parfois quand je produisais un son long, [...] je commençais à mieux ressentir les parties et les mouvements du son et à avoir comment chaque son a son propre monde [et a sa propre organicité], et que ce monde est semblable au nôtre dans la mesure où nous en faisons l'expérience quotidienne avec nos propres corps, c'est-à-dire, avec nos propres moyens. [...] En nous abandonnant [aux sons et au monde], cela veux dire y entrer jusqu'à un certain point pour faire l'expérience d'un monde autre. On n'explique pas ça si aisément mais il est plus facile d'en faire l'expérience véritable. [...] Nous découvrons [...] quand le son s'arrête ou quand nous quittons l'espace où le son est produit, ou simplement quand nous quittons partiellement juste le monde du son, que le monde dans lequel nous entrons n'est pas l'ancien monde que nous avions quitté mais un autre, nouveau. — (La Monte Young, "Conférence 1960", Paris : Éditions Éoliennes, 1998 & 2012, pp. 17-19) (Adaptation de la traduction de Marc Dachy) |
Son intérêt pour les environnements (tel la "Dream House") et la "just intonation" (ou intonation pure, ou encore tempérament équitable — selon Philippe Lalitte —, et tempérament à intervalles justes — (voir plus haut)) (avec "The Well-Tuned Piano", "Just Charles & cello", mais aussi les "Drift Studies") est à "originer" dans son approche de l'expérience du son "en plein air" ou en extérieur : les sons de frottements du vent sur les obstacles, les "bruits de fond" des ambiances environnementales (les sons permanents auxquels nous ne prêtons pas forcément une attention).
ibid. ref. pp. 194-195 Young — Le vent est un son constant dont la fréquence à tout moment est dépendante de l'environnement ou du lieu, et donc cette dernière n'est jamais stable. Parfois cette fréquence perçue restait continue pendant les tempêtes de neige quand le vent soufflait à travers les fentes au travers des planches de la cabane [son lieu d'enfance à Bern, Idaho], mais même là le son se caractérisait par des variations d'augmentation et de diminution de cette fréquence, que nous associons aussi facilement au son du vent, selon la force variante des rafales. J'aimais vraiment ça. Je trouvais cela incroyable. C'était super de l'entendre arriver et s'engouffrer - très calme, très apaisant et méditatif. Durant mon enfance je me souviens de quatre expériences différentes de son continu qui ont influencé mon travail musical : le son des insectes : le son des poteaux et fils téléphoniques ; le son produit par la vapeur pulsée comme celle s'échappant de la théière de ma mère et celle des cornes de train ; et la résonance particulière à des reliefs géographiques comme les vallées, les lacs et les plaines. En fait, le premier son continu et constant, sans début ni fin, que j'ai entendu lorsque j'étais enfant était celui du vent près les poteaux téléphoniques — le murmure constant des fils. Cela a eu une influence importante sur mon écoute et sur certains de mes travaux traitant du son soutenu et du son clairsemé tel que le "Trio for Strings" et la "Composition 1960 #7" (un si et un fa# "à tenir durant une longue durée"). Kostelanetz — Et à cette époque, êtes-vous retourné écouter le vent dans les fils téléphoniques ? Young — Oui, et encore aujourd'hui, j'adore vraiment les centrales électriques. Par exemple, le transformateur placé sur les poteaux téléphoniques contribue certainement à ce son constant, à ce bourdonnement. Quand l'électricité passe par les relais et traverse les transformateurs, des bourdonnements de différentes fréquences sont produits. La combinaison astucieuse entre l'électronique et les machines électriques semble générer des séries d'harmoniques partielles. Les partielles comprises dans ces séries sont reliées entre elles par des ratios de nombre entier, et ce qui est intéressant de comprendre isi est que les harmoniques partielles produites par les vibrations des cordes et des instruments à vent comme les pipeaux et les cornemuses sont aussi en relation de la même manière. Si mon réfrigérateur redémarre, or s'il arrive que je mette en route le moteur de mon aquarium à tortue, je peux arriver à chanter quelques unes des harmoniques inférieures si vous voulez. Kostelanetz — Donc, vous remarquez que l'environnement (la nature) est pleine de sons continus ? Young — En fait, en dehors des sons d'essaims d'insectes et des espaces géographiques résonants naturels, il n'était pas si facile de trouver des sons de fréquence constante avant notre époque de la mécanisation et de l'électronique. Kostelanetz — Et les cascades ? Young — Leur son est à peu près constant. S'il s'agit d'une grande cascade, le son est assez bruité très proche du bruit blanc. C'est un son plein, une masse sonore qui contient tellement de fréquences simultanées qu'on l'entend comme un complexe de sons. Théoriquement, le bruit blanc contient chaque fréquence dans une "bande" particulière, même si le son d'une cascade peut très bien ne pas toutes les posséder. Les endroits où nous trouvons un son continu, le drone, et qui est avec nous depuis plusieurs milliers d'années, ce sont dans certains systèmes musicaux qui l'utilisent, comme en Inde, en Écosse, et en Espagne. Le son constant est aussi présent dans l'organum, une forme évoluée du plain-chant au IXème siècle qui correspond au chant religieux de l'Église Catholique [une forme primitive de la polyphonie vocale sacrée] ; dans un certain style d'organum différentes hauteurs sont continues, et la mélodie les traverse. |
Si il y a une consonance (et une harmonie) à trouver, elle n'est sans doute pas celle d'une seule contemplation du son, mais celle d'une modulation constante et continuelle physique et environnementale (en surplus d'être mentale et spirituelle chez La Monte Young). Cette modulation ne se fonde pas sur des cadres de structures (de combinatoires hors du son) comme nous pouvons le trouver dans la musique occidentale du XXème siècle (dont la musique sérielle est le parangon et dont la musique tonale est le socle), mais sur des possibilités infinies de l'exploration harmonique du son. Celle-ci se trouve autant dans le son lui-même (l'ambitus de sa spectralité et la variété des combinaisons et des échelles harmoniques) et que dans la propagation du son dans l'espace et dans le temps (que je nomme la "musique étendue") : une continuelle syntonisation que nous opérons. Ainsi il s'agit à chaque fois d'activer un espace (et non de s'y lover et de le comprendre comme un réceptacle "neutre") et de le découvrir par le son et par le corps. L'intérêt est de mobiliser l'espace d'une manière qui quitte celle normalisée et standardisée et qui a conditionné toute la musique occidentale. "Poem" est dans ce sens exemplaire et fait émerger les prémisses des œuvres qui vont suivre.
Ainsi il faut voir son travail, qui suivra les œuvres de 1960, sur la "Just Intonation" et la micro-tonalité (les possibilités infinies de la gradation de l'octave) comme une exploration systématique de la naturalité harmonique des espaces et des sons dans les espaces (les résonances naturelles). De même notre relation à l'environnement et aux acoustiques des environnements devient modifiée : nous y modulons plus que nous y ou l'écoutons, les sons s'y étendent et nos modulations (nos mouvements) étendent la perception de l'espace et des sons. Les compositions et les œuvres de La Monte Young intègrent autant les particularités sonores et acoustiques que celles des mouvements des auditeurs voire de la situation sociale représentée par le "concert" (que transgresse presque à chaque fois La Monte Young, en travaillant sur la durée et les sons continus, sur l'intensité sonore liée au spectre harmonique, sur les actions à mener, sur la nécessité de prendre en compte les propriétés de l'espace, etc.).
Si le geste originaire présent dans "Poem" est un geste du quotidien, celui de bouger une chaise, et participe d'une "philosophie" du quotidien, il s'agit ensuite de prendre conscience que cette chaise "sonne" dans l'espace dans une amplitude harmonique et d'intensité. Faire de la musique (ou la fabriquer) dépasse l'impression et l'expression de celle-ci pour se fonder sur une réalité, ici acoustique :
ibid. ref. p. 190 |
Les sons les plus longs et continus donnent une réalité à l'analyse harmonique auditive et ces relations internes dans le son se révèlent très vite bien plus belles, harmonieuses et justes que les approximations arbitraires du tempérament égal. — (La Monte Young) |
Et ensuite il s'agit de considérer que l'environnement (le monde autour de soi et au-delà) dans lequel nous agissons et dans lequel la musique apparaît, est un espace dont l'ampleur harmonique et spectrale et celle des intensités jouent des résonances et des propagations naturelles (c'est-à-dire construites, car il n'y a pas de "nature" en soi) dans toute notre capacité de perception et de compréhension sonores et musicales. L'inharmonicité et toute la palette des intensités sont présentes (ce que nous montrent les musiques et les pratiques musicales d'autres cultures que celle occidentale, mais aussi certaines de nos pratiques sonores qui par défaut ne sont pas qualifiées de musicales et qui pourtant forment notre ambitus d'écoute et créent des expériences esthétiques qui musicalisent notre présence et notre activité dans un environnement) :
Ibid. ref. p. 201 |
Kostelanetz — Ce que vous nous indiquez est donc que la nature est en "intonation pure". Young — C'est un exemple de système harmonique qui apparaît naturellement dans le monde sonore. |
En prenant sa source sur l'observation et l'expérience du "réel" et des variations et simultanéités continuelles de celui-ci (puisque nous-mêmes nous y modulons), du bruit faisant découvrir des palettes larges des harmoniques du son, au son le plus ténu présent dans nos ambiances, la musique devient une musique par l'environnement (au-delà d'une musique de l'environnement), une musique de syntonisation (les accords et les désajustements continuels de nos modulations) et une musique du filtrage puisque les interactions en direct entre les espaces, les sons et nos corps créent et fabriquent des filtres modulés dans les opérations d'écouter et d'entendre. Notre appareil auditif et notre perception étant toujours en action, notre attention varie en analysant les propagations sonores (Bregman, "Audio Scene Analysis", 1990 — http://webpages.mcgill.ca/staff/Group2/abregm1/web/pdf/2004_%20Encyclopedia-Soc-Behav-Sci.pdf —) et les détails, dynamiques et "couleurs" d'une ambiance (Thibaud, 2004, 2012 — http://doc.cresson.grenoble.archi.fr/opac/doc_num.php?explnum_id=40 — http://www4.ncsu.edu/~mseth2/com307/readings/ThibaudSenses.pdf — http://halshs.archives-ouvertes.fr/docs/00/74/58/80/PDF/ambiances2012_thibaud_siret.pdf —). Être présent dans une ambiance ou dans un paysage sonore (terme et philosophie inadéquates ici, et dont il faudrait renouveler l'approche, après Robert Murray Schafer ("The Soundscape - the Tuning of the World", 1977) , avec notamment les notions de "Positive Soundscape" — http://usir.salford.ac.uk/2460/1/Davies_ICA_2007_soundscapes_paper_v3.pdf — http://webistem.com/acoustics2008/acoustics2008/cd1/data/articles/001103.pdf — et de "wayfarer" selon Tim Ingold — http://www.spacesyntax.tudelft.nl//media/Long%20papers%20I/tim%20ingold.pdf — ), est non seulement poétique et contemplatif, mais est aussi et surtout une expérience du présent et du direct sur lequel nous pouvons agir.
Ibid. ref. pp. 197-198 |
Il y a un domaine dans lequel je vais plus m'investir — que se passe-t-il après que la donnée d'information liée au son a passé l'étape de la réception dans la chaîne auditive ? Il est fort probable, tel que je l'entends, que ce qui me fait aimer ce son est plus que seulement la manière dont mon oreille reçoit l'information. — (La Monte Young) |
Habituellement dans la musique les conduites mélodiques, harmoniques et de nuances d'intensité se retrouvent conjointes pour développer des états d'émotions (ethos), ou encore sont articulées pour créer des reliefs et des dynamiques liés à une structure sous-jacente qui établit une règle d'écriture et de décisions qui dirige l'écoute. Ce que relève La Monte Young est qu'il y a aussi des interactions acoustiques entre le spectre harmonique et l'intensité sonore et que ceci peut structurer (comme nous l'avons signalé plus haut) la musique et son environnement. Là où la musique utilise des déliaisons (entre hauteur et intensité, entre durée et hauteur, entre durée et intensité, entre timbre et les autres composants que nous venons de lister, et toutes les autres combinaisons multiples entre eux), il y aurait un territoire sonore et musical infini à explorer et à jouer.
Ibid. ref. p. 201 |
Un élément qui façonne l'utilisation de l' intonation juste et ce que les auditeurs entendent lors de mes concerts c'est l'amplification. Il arrive que l'amplification soit une nécessité de l'audibilité des harmoniques — plus le son est fort, mieux vous pouvez entendre les harmoniques du son, en tout cas leur perception augmente avec l'accroissement de l'intensité et de l'amplitude sonores. À un volume sonore ordinaire elles sont tellement faibles que vous ne pouvez pas percevoir la plupart des harmoniques supérieures. En fait, si vous écoutez ma voix chantée sans qu'elle soit amplifiée et en vous mettant très près, vous pourrez sans doute jusqu'à la troisième harmonique. Avec une amplification, vous percevrez dans ma voix jusqu'à la septième harmonique et dans celle de Marian jusqu'à la neuvième. C'est la seule raison pour laquelle nous jouons "The Tortoise" aussi fort. — (La Monte Young) |
Ibid. ref. p. 213 Kostelanetz — Donc vous jouez ensemble à un volume et à des amplitudes sonores extrêmement élevés, presque au seuil de la douleur. Young — Cela arrive. Pour moi ce n'est pas douloureux, mais pour une personne qui n'a pas l'habitude cela peut être souvent le cas. C'est le seuil de l'instabilité sensitive qui est recherché. On apprend, je crois, à écouter les sons forts sans ressentir la douleur. Je ne pense pas que j'ai perdu de ma capacité auditive durant ces dernières années. Quand je travaillais avec Ann Halprin [en 1959-1960 à Los Angeles] et que j'écoutais des sons à très fort volume en restant à proximité, il m'arrivait de ne pas retrouver une écoute normale avant quelques heures. En ce moment, je n'ai pas ce problème. J'ai appris que je pouvais encore entendre les fréquences jusqu'à 17 500 Hz ce qui est probablement le niveau le plus élevé que je n'ai jamais obtenu. Bien que je n'ai aucun moyen de prouver que je peux entendre des sons de très faible intensité aussi aisément qu'autrefois, mon hypothèse est que mes oreilles et ma capacité auditive ne se sont pas détériorées. Il y a deux raisons essentielles à mon travail avec des sons qui atteignent des niveaux de 120 et 130 dB. En premier lieu, nous savons à partir des études de la courbe de Fletcher-Munson que l'oreille n'entend pas les fréquences graves à un niveau sonore faible, en tout cas et proportionnellement, pas aussi bien que les aigus. Donc, si nous prenons comme exemple une situation sonore donnée contenant des fréquences graves, aigues et mediums et à un volume relativement peu élevé, l'oreille ne percevra pas tout le spectre sonore présent, notamment le registre grave sera peu perçu. Cela ne se résoud pas aussi facilement. Nous savons cependant qu'à un niveau sonore élevé l'oreille entend mieux, par rapport à la situation initiale, le registre grave. Vous obtenez ainsi le registre sonore intégral. En second lieu, les interactions issues des combinaisons de fréquences, particulièrement les résultantes différentielles, sont mieux perçues à un tel niveau sonore. Les résultantes obtenues dans un registre inférieur avec les fréquences en-dessous de 15 Hz produisent des battements et peuvent être très utiles pour le musicien pour ajuster ses intervalles harmoniques de manière précise, et ces battements ne sont perçus seulement qu'à des niveaux sonores les plus élevés. Kostelanetz — Plus le volume sonore est fort et élevé, plus vous entendez les différentielles harmoniques. Young — Et, ainsi, la précision harmonique et d'intonation est plus grande, et la complexité est plus riche. |
Nos capacités de production et d'écoute musicales sont étendues et intègrent les opérations de syntonisation et de modulation avec nos environnements ; la musique est espace, intensité, son, que nous modulons et filtrons continuellement.
Ibid. ref. p. 203 |
On pourrait très bien définir la musique par tout ce que nous pouvons écouter. — (La Monte Young) |
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