On extended, boundless, vibratory and in-the-now sympathy music
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!!2.SITUATION ---- ---- !!!2.1. Un instrumentarium ? Les développements et la pratique de la musique en réseau sont animés par un débat en cours : l'objectif est-il de reproduire la configuration du concert tel que nous le connaissons et ainsi de plier les conditions techniques existantes afin de les optimiser et de supprimer les effets de distance et ceux résiduels de la téléprésence ? ou faut-il considérer que la distance et la répartition (des acteurs d'un concert), ainsi que les conditions techniques des flux (streaming), modifient les constituants musicaux, instrumentaux et compositionnels et permettent d'envisager de nouvelles formes musicales d'interprétation, de composition et de public ? Ce même type de question avait été posé lors de l'apparition des instruments électroniques comme par exemple avec les synthétiseurs : devaient-ils simplement reproduire les instruments classiques (voire les remplacer) ou devenir des instruments à part entière avec leur propre registre, facture, répertoire et palette sonore et ainsi solliciter des modes et formes nouveaux d'écriture et de composition ? La musique en réseau (ou télémusique) peut apparaître moins comme l'identification d'un genre musical en tant que tel (c’est-à-dire s’appuyant sur son propre langage et créant ses propres codes) qu’une mise à jour des conditions musicales — i.e. un renouvellement des conditions de la musique et de celles de faire de la musique —. Ou alors, hypothèse corollaire, faudrait-il l’apparenter aux autres instrumentariums et auditoriums (tels que la musique de chambre, la musique électroacoustique, etc.), et aux dispositifs qu’ils constituent respectivement pour produire et représenter de la musique ; chacun de ceux-ci présentant aussi des variations de conditions qui leur sont propres ou qui interagissent entre eux, et qui retracent des généalogies : historiques, techniques, d’écoute, etc. Ces investigations prolongent les réflexions visionnaires d'Edgard Varèse lorsqu'il énonçait en 1917 : |t |t |t |t |t |t |t |t |t |t |t |t |t |t |t |t |t |t |t |tl ''Il faut que notre alphabet musical s'enrichisse. Nous avons aussi terriblement besoin de nouveaux instruments. ^[...^] Les nouveaux instruments ne doivent être après tout, que des moyens temporaires d'expression. Les musiciens doivent aborder cette question avec le plus grand sérieux, aidés par des ingénieurs spécialisés. J'ai toujours senti dans mon œuvre personnelle, le besoin de nouveaux moyens d'expression. Je refuse de ne me soumettre qu'à des sons déjà entendus. Ce que je recherche, ce sont de nouveaux moyens techniques qui puissent se prêter à n'importe quelle expression de la pensée et la soutenir.'' (Varèse, 1917){footnote}{small}Varèse, Edgar (1917). ''Verbe & Que la musique sonne''. REVUE 391, n° 5, New York, June 1917, (p. 1 & p. 3).{/small}{/footnote},| ou encore dans un écrit ultérieur de 1936 : |t |t |t |t |t |t |t |t |t |t |t |t |t |t |t |t |t |t |t |tl ''Moreover, the new musical apparatus I envisage, able to emit sounds of any number of frequencies, will extend the limits of the lowest and highest registers, hence new organizations of the vertical resultants: chords, their arrangements, their spacings, that is, their oxygenation. [...] I am sure that the time will come when the composer, after he has graphically realized his score, will see this score automatically put on a machine which will faithfully transmit the musical content to the listener.'' (Varèse, 1936){footnote}{small}Varèse, Edgard (1936). ''New Instruments and New Music''. In « The Liberation of Sound. Perspectives on New Instruments and New Music », Elliott Schwartz & Barney Childs (eds.).{/small}{/footnote}.| {br}{br}{br}{br} ---- ---- !!!2.2. L’orchestre en réseau Tim Perkis{footnote}{small}Dans le texte inclus dans le livret du cd « Wreckin’ Ball » de The Hub, Artifact Recordings 1008.{/small}{/footnote}, un des six compositeurs de « The Hub », propose de prendre pour analogie, afin de décrire un ensemble de musiciens “inter-connectés” (ou en réseau), l’exemple des gamelans, ensembles intrumentaux javanais et sundanais et balinais (et par extension, le « gong » balinais{footnote}{small}Et le “reyong” (ou “reong”) qui est un instrument dans le gamelan gong kebyar, joué par quatre instrumentistes en même temps.{/small}{/footnote}), représentant un seul instrument musical constitué de plusieurs parties. De même, Dana Rappoport, dans son article « Chanter sans être ensemble — Des musiques juxtaposées pour un public invisible » (Rappoport, 1999){footnote}{small}« Certains rituels indonésiens impliquent l’exécution de plusieurs musiques à la fois dans le même espace et dans le même temps : ainsi, plus de six chœurs peuvent chanter côte à côte mais séparément. Alors que ces musiques ne font l’objet d’aucune coordination ryhtmique, elles sont pourtant exécutées simultanément : elles sont juxtaposées. Cette juxtaposition est fixe, durable et intentionnelle. » (Rappoport D. (1999). ''Chanter sans être ensemble — Des musiques juxtaposées pour un public invisible''. In “L’Homme”, Revue Française d’Anthropologie, no. 152, (pp. 143-162). Paris : Éditions EHESS){/small}{/footnote}, souligne un second aspect très particulier de certaines musiques indonésiennes, celui de parties, jouées par des groupes en proximité, et à la fois, superposées, indépendantes, séparées et simultanées (“polymusiques”) : c’est-à-dire de plusieurs sources qui émettent simultanément sans présence de récepteurs (sans une audience externe). Dans la musique occidentale, l’orchestre, en tant qu’ensemble de musiciens exécutant une musique composée, joue “d’une seule voix”, chaque instrumentiste, associé ou non à sa famille d’instruments selon qu’il s’agit d’un orchestre classique ou contemporain, se synchronisant par la battue et la direction du chef d’orchestre. L’orchestre dès le XVIIIème siècle est conçu comme un “instrument” qui est ajusté pour fusionner les timbres, chaque pupitre respectant “des rapports de puissance précisément définis” (Harnoncourt, 1982^[1984^]){footnote}{small}Harnoncourt, Nikolaus (1982^[1984^]). ''Le Discours Musical — Pour une nouvelle conception de la musique (Musik als Klangrede — Wege zu einem neuen Musikverständnis)''. Traduit par Dennis Collins, (p. 151). Paris: Gallimard.{/small}{/footnote}. La répartition des puissances sonores et l’instrumentation jouent un rôle prépondérant dans l’équilibre final de la réalisation d’une œuvre{footnote}{small}Aspect souligné par Paul Hindemith, dans son discours prononcé lors du festival Bach à Hambourg, le 12 septembre 1950. (Cité par Nikolaus Harnoncourt, Ibid, (p. 152)){/small}{/footnote}. Cette répartition a évolué au cours de l’histoire, tout autant que la facture des instruments et les modes de jeux instrumentaux, en s’adaptant aux espaces acoustiques des salles et lieux dédiés aux concerts. En effet, les propriétés de réverbération ou encore d’homogénéité de ces espaces ont une action sur la perception de la fusion des timbres et sur la distinction de phrases et traits musicaux. Par exemple, aux XVIIème et XVIIIème siècles, du fait des dallages, de la hauteur des salles et des revêtements de marbre, la réverbération était bien plus importante”{footnote}{small}Harnoncourt, Nikolaus (1982^[1984^]). ''Ibid.'' p. 153.{/small}{/footnote} que dans les salles de concert modernes. Par ailleurs, la conception romantique et monumentale qui a suivi a induit des effets de ralentissement de tempo, qui, liés aux espaces acoustiques de très faible réverbération, favorisent l’acuité de “couleurs” progressives de masses sonores, résonant de l’ensemble de l’instrument orchestral. La musique contemporaine au XXème siècle, par le déploiement mutiple de formations instrumentales issues de la musique de chambre, a renoué avec un orchestre/instrument dont chaque partie peut être organique et “distincte”, jusqu’à des organisations spatiales spécifiques appelant des redéfinitions de la place du public et de celle, présente ou non, de la conduite dirigée. Les évolutions instrumentales, électroniques et électroacoustiques, puis numériques, intriquées à celles compositionnelles, sont allées de pair avec ce développement des écritures et jeux musicaux liés à l’espace et aux répartitions spatiales jusqu’à des virtualisations d’espaces (Di Scipio, 1998; Vidolin, 1993; Desloges, 2001){footnote}{small}Di Scipio A. (1998). ''El sonido en el espacio, el espacio en el sonido (Le son dans l’espace, l’espace dans le son)''. Doce Notas Preliminares, no. 2, pp. 133-157, Décembre 1998; Vidolin A. (1993). ''Musica nello spazio''. In "Il Giornale degli artisti", no. 4, (pp. 4-5).Venezia; Desloges, Sébastien. (2001/2002). ''L’Espace de l’Écoute - L’Écoute de l’Espace''. Mémoire de maîtrise d’Histoire de l’Art, Université de Rennes.{/small}{/footnote}. Les hybridations d’espaces, superpositions et intrusions d’un espace dans un autre, proposent d’autres « continuums », fondés sur la segmentation et la répartition des sources sonores jusqu’à une perception d’espaces virtuels au-delà des murs de la salle de concert, offrant ainsi un renouveau des expériences esthétiques{footnote}{small}''« La distribution dans l’espace devient une nécessité structurelle. ^[...^] Nous devons étendre encore plus l’idée d’une “continuité spatiale réelle” à l’intérieur de laquelle les agrégats sonores sont projetés.'' (Boulez, Pierre (1955). ''Á la limite du pays fertile''. In Die Reihe, I) (Cité par Di Scipio, Agostino (1998), ''Ibid.''. pp. 139-140.){/small}{/footnote}. La spatialisation sonore crée ainsi une nouvelle homogénéité de l’espace commun et collectif dans lequel se trouvent les musiciens et les auditeurs, tout en questionnant la validité d’une idéalité des points d’écoute. En cela une autre conscience vient rejoindre celles déjà impliquées dans l’écoute musicale : écouter une musique est aussi écouter en même temps les résonances de l’espace dans lequel elle est jouée. De la variabilité des acoustiques d’un lieu au travers de systèmes de traitements sonores et de géométries architecturales, nous sommes passés à la pluralité des acoustiques simultanées en reliant des espaces physiques (et virtuels) entre eux{footnote}{small}Un exemple cité par Agostino di Scipio est sur ce point très éclairant : ''« “Noms des Airs” (1994) de Salvatore Sciarrino [...] est une œuvre intéressante, ne serait-ce que pour exister, dans sa première - et jusqu’ici unique — exécution, comme une sorte de musique “parasitaire”. Sciarrino y recueillait avec des microphones le son de l’exécution orchestrale d’une autre composition (« La Favola di Orfeo » de Casella, jouée dans un théâtre normal), la soumettait immédiatement, pendant ce même concert, à plusieurs techniques d’élaboration (avec l’aide d’Alvise Vidolin et Nicola Bernadini), et la diffusait finalement au moyen de haut-parleurs situés dans des lieux souterrains que les auditeurs pouvaient visiter. ^[...^] Dans ce cas, le contact avec l’espace spécifique ^[dans les profondeurs souterraines des “Cantine del Redi” à Montepulciano^] est une partie essentielle de l’idée compositionnelle : le compositeur veut occuper un lieu avec des sons et nous parler d’eux en utilisant les résonances de ce même lieu. Une telle opération peut se considérer comme une “installation musicale” : les sons proposés prennent un sens, non en eux-mêmes, mais du fait de résonner dans un lieu spécifique, dans une contexte architectonique particulier. »'' (Di Scipio A. (1998), ''Ibid.''. pp. 146-147.). -- « Noms des Airs », ou « Una discesa nel suono d’Orfeo », a été créée le 31 juillet 1994 lors des 19èmes Cantiere Internazionale d’Arte à Montepulciano, avec la collaboration du Centro Tempo Reale de Florence. Á lire aussi : Vidolin A. (2005). ''Percorsi sonori di un teatro immaginario. Da “Noms des Aires” a “Lohengrin II” di Salvatore Sciarrino''. In “Rivista di Analisi e Teoria Musicale - GATM”, “Il suono transparente - Analisi di opere con live electronics”, édité par Andrea Cremaschi et Francesco Giomi, XI no. 2, LIM Lucca, 2005, (pp. 89-109).{/small}{/footnote} et en répartissant les sources sonores (dont les musiciens) dans ces espaces qu’elles excitent de manière significative jusqu’à ce que ces résultantes d’espaces soient constitutives de la musique même, de sa construction à sa réalisation{footnote}{small}Ce que l’équipe Locus Sonus a appelé « Field Spatialisation », la “spatialisation de terrains” ou spatialisation ambulatoire : ''« Les problématiques qui s’ouvrent avec cette notion de Field Spatialization permettent de mieux interroger et discerner les dimensions impliquées dans les pratiques sonores d’espace et en réseau. Elle met à jour un séquencement des mises en espace articulées à des distances et des terrains : de la diffusion sur haut-parleurs dans un espace local à celle sur haut-parleurs HF dans un périmètre plus large (outdoor), au streaming entre des espaces disjoints et distants, jusqu’à des innervations de diffusions et d’acoustiques entre espaces physiques et espaces virtuels. »'' (Joy J. & Sinclair P. (2009). ''Les Espaces Sonores en Réseau — Pratiques de la recherche en art — Locus Sonus''. In “Recherche & Création — Art, Technologie, Pédagogie, Innovation”, édité par Samuel Bianchini, pp. 122-139. Paris : Éditions Burozoïque / Les Éditions du Parc, École Nationales Supérieure d’Art de Nancy), http://locusonus.org/.{/small}{/footnote}. L’instrument, au sens global du terme, devient composé d’espaces et d’acoustiques différenciées. Le développement de l’informatique a permis d’optimiser les interactions instrumentales et les effets virtuels, ainsi que de faciliter le transport en temps réel d’un point à un autre de données numériques, qu’elles soient des données de contrôles ou des données sonores. Au milieu des années 90 et au début des années 2000, ceci devient réalité à une échelle disons planétaire par la mise en place d’orchestres distribués et inter-connectés par le réseau Internet : les premiers exemples de concerts orchestraux en réseau se fondent sur une répartition des musiciens et du chef d’orchestre, comme le concert du GRAME-EOC music ensemble en 1996 entre Genève (musiciens) et Bonn (chef d’orchestre) pour jouer « Dérive » de Pierre Boulez, et celui de « l’Ode à la Joie » de Beethoven exécuté par Seiji Ozawa à Nagano avec des chœurs répartis sur les cinq continents. Il est à remarquer que les systèmes de musique en réseau favorisent des performances ou “téléconcerts” de musique “live”, liée à des pratiques de composition en direct et d’improvisation. Dans un dispositif de musiciens en réseau, de surcroît lorsque ces performeurs sont aussi compositeurs et improvisateurs{footnote}{small}Il faut se rappeler que dans la musique jusqu’au XVIIIème siècle, l’improvisation est inséparable de la pratique musicale.{/small}{/footnote}, l’interconnexion en réseau apparaît pour chacun, d’une part, comme une extension de sa propre configuration instrumentale, et d’autre part, comme c’est le cas dans « The Hub », en tant qu’un constituant de l’instrument consistant en la jonction et l’inter-opérabilité entres les configurations distantes et disjointes. Cette inter-opérabilité peut être fonctionnelle, c’est-à-dire qu’elle permet l’interaction et le contrôle de paramètres d’un performeur à un autre ou aux autres, ou, bien encore, elle est liée à des retours d’écoute qui viennent influencer les jeux de chaque performeur; dans les deux cas, aucun performeur n’est en mesure de contrôler le résultat final et collectif et l’évolution de cette musique jouée en réseau. Chaque exécution peut être alors différente et le nombre d’interactions possibles est infini, selon le nombre de performeurs, de paramètres mis en interaction, et de règles de jeu (ou protocoles) mises en place par les acteurs de l’orchestre. Un autre pas décisif est pris lorsque le public auditeur peut agir directement sur le processus musical en cours : c’est le cas du « KromoZone Intermedia Performance System » créé en 2000 par Timothy Place et Stephan Moore lors de la National Conference for the Society of Electro-Acoustic Music à Denton, Texas (Place & Moore, 2000){footnote}{small}Place T.A. & Moore S. (2000). ''The KromoZone Intermedia Performance System''. In Procedings of the annual conference of the Society for the Electro-Acoustic Music, Denton, Texas, Mars 2000.{/small}{/footnote}. Á l’aide d’ordinateurs placés face à la scène, les auditeurs peuvent manipuler sur les écrans des curseurs, boutons et “controllers” qui agissent et modifient des paramètres prédéfinis des instruments informatiques joués par les musiciens sur la scène. Dans ce cas, l’orchestre s’étend aussi aux auditeurs par le jeu interactif de décisions prises par eux et par les musiciens. Cet « orchestre du XXIème siècle » (Gosselin & Apo33, 2004){footnote}{small}Gosselin, Sophie & Apo33. (2004). ''L'Orchestre au 21ème siècle''. In Revue Volume ! n°3, 2004.{/small}{/footnote} est construit sur un instrumentarium qui implique un renouvellement des rôles de chaque acteur (compositeur, interprète, auditeur) en leur attribuant des modes opératoires non accessibles jusqu’à aujourd’hui, et qui réhausse la partipation des propriétés spatiales dans la musique même. Les conditions propres d’un concert instrumental traditionnel concernant les interactions entre musiciens liées à l’écoute, aux perceptions visuelles et aux effets proprioperceptifs, doivent être examinées dans le cas d’un “orchestre” en réseau pour vérifier les effets significatifs que leur absence ou modification entraine dans un concert distribué. Cet orchestre le plus souvent se trouve appareillé de systèmes vidéo, de connexions télématiques haut-débit et de logiciels de communication textuelle, afin d’intensifier les degrés d’interactions entre les musiciens. Par ailleurs, les conditions de fusion timbrale et de synchronisation étaient auparavant liées uniquement aux paramètres de distance et de réverbération acoustique de l’espace du concert (les réflexions acoustiques); dans un orchestre en réseau, il est nécessaire de prendre en compte les temps de retard (“delay” et “latency”) caractéristiques du dispositif de communication en sus des colorations dûes aux superpositions des espaces inter-connectés. Dans ce cas, les effets de retard ne sont plus seulement acoustiques mais aussi télématiques. {br}{br}{br}{br} ---- ---- !!!2.3. L’attention et la conscience inter-active Les conditions d'un système de musique en réseau participent aux questions actuelles à propos des interactions à distance médiatées par les réseaux électroniques, dont notamment celles concernant les communications inter-individuelles. Selon Gutwin et Greenberg (Gutwin & Greenberg, 2001){footnote}{small}Gutwin C. & Greenberg S. (2001). ''The Importance of Awareness for Team Cognition in Distributed Collaboration''. In Report 2001-696-19, Dept Computer Science, University of Calgary, Alberta, Canada, (pp. 1-33).{/small}{/footnote}, les notions de perception, d'attention et de conscience (sensible) dans une situation face-à-face, notamment dans les configurations d'échanges, de conversation et de collaboration de travail, font partie intégrante de la communication conséquentielle, de l'alimentation de la conversation inter-individuelle et de la communication intentionnelle (ce que nous pourrions appeler la distinction entre destinataire et destinateur, c'est-à-dire toutes les conventions d'adresse et d'adressage). La configuration d'un concert traditionnel est un exemple de couplage serré et de collaboration synergétique dans lesquels les participants acquièrent un degré élevé d'attention et de conscience collective. Alfred Schütz dans son article « Faire de la musique ensemble » a relevé cet aspect de la relation sociale qui est particulière à la situation musicale; nous pourrions aussi nous reporter à des ouvrages plus anciens tels que « Comment Écouter » (« Peri tou akouein ») de Plutarque{footnote}{small}Plutarque (ca. 100^[1995^]). ''Comment Écouter''. Traduit du grec par Pierre Maréchaux, collection « Petite Bibliothèque », (pp. 52-53). Paris: Éd. Payot & Rivages.{/small}{/footnote}, et quelques extraits des Livres I et III des « Essais » de Montaigne dont |t |t |t |t |t |t |t |t |t |t |t |t |t |t |t |t |t |t |t |tl ''la parole est à moitié à celui qui parle, moitié à celui qui l'écoute.''{footnote}{small}Montaigne (1580^[2004^]). ''Essais, I, 40 - Considérations sur Cicéron''. Collection « Quadridge », 2004, (p. 251). Paris: Presses Universitaires de France; Et aussi: Montaigne (1588^[2004^]). ''Essais, III, XIII — De l'Expérience''. Collection « Quadridge », 2004, (pp. 1067-1088). Paris: Presses Universitaires de France.{/small}{/footnote}| Les gestes, expressions faciales et mouvements corporels des musiciens partenaires, tout autant que les sons émis par leurs instruments sont des indices signifiants et intentionnels pour les autres musiciens (Malhotra, 1981){footnote}{small}Malhotra V. (1981). ''The Social Accomplishment of Music in a Symphony Orchestra: A Phenomenological Analysis''. In Qualitative Sociology, Vol. 4, no. 2, (pp. 102-125).{/small}{/footnote}. D'autres recherches indiquent que les musiciens sont aussi très sensible à la réponse (feedback) acoustique de l'environnement dans lequel ils jouent (Sawchuk, Chew, Zimmermann, Papadopoulos & Kyriakakis, 2003){footnote}{small}Sawchuk, A., Chew, E., Zimmermann, R., Papadopoulos,C. & Kyriakakis,C. (2003). Supra chap1 (50). Sawchuk, A., Chew, E., Zimmermann, R., Papadopoulos,C. & Kyriakakis,C. (2003). ''From remote media immersion to Distributed Immersive Performance''. In ETP '03: Proceedings of the 2003 ACM SIGMM workshop on Experiential telepresence, (pp. 110-120). ACM Press New York, NY, USA. http://doi.acm.org/10.1145/982484.982506{/small}{/footnote}. Idéalement, un dispositif de musique en réseau devrait faciliter un haut degré d'attention individuelle et collective similaire à celui dont les instrumentistes font l'expérience dans une configuration de concert traditionnel. {br}Il faudrait aussi étudier de plus près la notion de « création collective » développée par Constantin Brailoiu dans ses recherches ethnomusicologiques (Brailoiu, 1959). {br}{br}{br}{br} ---- ---- !!!2.4. La syntonie Dans son article « Faire de la musique ensemble » (Schütz, 1951^[1987^]){footnote}{small}Schütz, Alfred. (1951 ^[2007^]). ''Faire de la Musique Ensemble – une étude de la relation sociale''. In "Écrits sur la Musique, 1924-1956". Collection Répercussions. Trad. Bastien Gallet et Laurent Perreau. Paris: Éditions M.F. Musica Falsa, (pp. 133-138). Citons par exemple ce passage: ''« A travers cette re-création du processus musical, l’interprète prend part au courant de conscience du compositeur aussi bien que de l’auditeur. De ce fait il aide ce dernier à s’immerger dans l’articulation particulière du flux du temps interne qui est le sens propre du morceau de musique considéré. Que l’interprète et l’auditeur partagent entre eux un présent vivant dans une relation de face-à-face ou qu’ils ne partagent, par l’interposition de procédés mécaniques comme le disque, qu’une quasi-simultanéité de leur courant de conscience, importe peu. Ce dernier cas renvoie toujours au premier. La différence qui existe entre les deux démontre seulement que la relation entre l’interprète et le public est sujette à des variations d’intensité, d’intimité et d’anonymat. On comprend cela très bien si l’on imagine un auditoire constitué d’une seule personne, d’un petit groupe de personnes dans un lieu privé, d’une foule remplissant une grande salle de concert ou des auditeurs entièrement inconnus d’une exécution radiophonique ou d’un disque vendu dans le commerce. Dans toutes ces circonstances, l’interprète et l’auditeur se syntonisent l’un sur l’autre. »''{/small}{/footnote}, Alfred Schütz analyse la situation musicale constituée d’un groupe d’interprètes et d’auditeurs ensemble, s’orientant les uns les autres à partir d’indices et de réactions d’interprétation au long d’un temps musical (ce qu'il appelle la « syntonie ») : |t |t |t |t |t |t |t |t |t |t |t |t |t |t |t |t |t |t |t |tl ''Chaque action de chaque interprète s’oriente non seulement selon la pensée du compositeur et sa relation au public mais, aussi, de façon réciproque, selon les expériences dans les temps externe et interne des autres interprètes ; ^[...^] ^[c^]hacun d’eux doit, par conséquent, prendre en compte ce que l’Autre doit interpréter simultanément. ^[...^] Tout musicien de chambre sait à quel point une disposition qui les empêche de se voir peut être dérangeante.'' (Schütz, 1951^[1987^]){footnote}{small}Schütz, Alfred. (1951^[2007^]). ''Op. Cit.'' (p. 136).[/footnote}.| Ces situations de syntonie basées sur les éléments phatiques et de prosodie musicale dans la télémusique dans laquelle les musiciens sont acousmates, sont essentielles pour les concerts en réseau de musique improvisée expérimentale (c'est-à-dire sans partition ni direction des musiciens) tels qu'ils se développent aujourd'hui (« nomusic.org », « Le Placard », « Sobralasolas ! », etc.). Dans ces cadres d’improvisation voire de co-composition, les musiciens construisent des configurations spécifiques qui leur permettent de se syntoniser, d'engager des et de suivre une conduite commune aussi minimale soit-elle (pour, par exemple, la gestion du début et de la fin d'un set), en plus du suivi effectué par l'écoute : par exemple, en utilisant une interface textuelle de communication (de type IRC, « chat »), ou une communication visuelle (de type « Skype » et « iChatAV »), ou encore en proposant que le point d'émission à domicile (« at home ») de chaque musicien lorsque ceux-ci sont tous répartis, soit le lieu d'accueil d'un public local. Ainsi il y a autant de lieux d'émission que de lieux de réception publique, le public étant distribué. Une dernière proposition est d'ouvrir à un public internaute (disséminé, pouvant écouter chez eux) en mettant à disposition sur les réseaux l'accès à l'écoute du stream général de la performance collective{footnote}{small}Comme par exemple dans les concerts réalisés par les collectifs « Sobralasolas ! » et « nnybinap », ainsi que dans le cadre des événements « nomusic » et du « Placard » (Emmanuelle Gibello). http://sobralasolas.org/ {/small}{/footnote}. Il s'agit d'explorer les conditions des ensembles instrumentaux distribués et des systèmes de jeux et d’écriture qu’elles engagent vis-à-vis d’un dispositif initial issu des formes concertantes et performatives : les places du public, de l’audience, de l’auditeur et des musiciens s’ajustent sur cette question de participation et de syntonie. C'est l'enjeu, aujourd’hui, de plusieurs projets d’œuvres et de composition musicales en réseau sont menés par les compositeurs{footnote}{small}Par exemple : Pedro Rebelo (« NetRooms — The Long Feedback », http://www.sarc.qub.ac.uk/~prebelo/netrooms/ ), Georg Hadju (« Net.Quintet », http://www.quintet-net.org/ ), et le collectif « Sobralasolas! » initié par Jérôme Joy, http://sobralasolas.org/ ).{/small}{/footnote}. Durant les années 80, le collectif The Hub pratiquait également lors de concerts ce type d’improvisation informatique sur une configuration en réseau à laquelle les performeurs sur scène étaient tous reliés, interagissant les uns les autres ; nous pouvons aussi nous référer aux improvisations électroniques qui se sont développées antérieurement à cette date (David Tudor, John Cage, AMM, Karlheinz Stockhausen, etc.){footnote}{small}http://www.emf.org/tudor/ , http://www.fondation-langlois.org/flash/f/index.php?NumPage=571 , http://www.efi.group.shef.ac.uk/mamm.html , « Aus den Sieben Tagen » (1968, œuvre créée en 1969) de Karlheinz Stockhausen.{/small}{/footnote}, même si ces structures de participation peuvent sembler plus éloignées. {br}{br}{br}{br} ---- ---- !!!2.5. L’écoute et le direct La composition peut s'emparer aujourd'hui de cette question fondamentale, après que celle-ci ait traversée successivement dans l'Histoire de la musique, l'interprétation instrumentale (comme moyen d'éclairer et de moduler plus ou moins une œuvre écrite, ou allographique), les pratiques d'arrangement de musiques existantes (Szendy, 2001){footnote}{small}Szendy P. (2001). ''Écoute - Une histoire de nos oreilles''. Paris: Les Éditions de Minuit.{/small}{/footnote} et le développement des supports d'écoute qui sont devenus jouables (Djs, iPod battles, etc.). Les moyens de l'écoute s'étant multipliés à partir des techniques d'enregistrement et des télécommunications, il est possible d'écouter à présent chez soi, à domicile, ou encore de manière ambulatoire (radio, walkman, lecteurs mp3, téléphones mobiles) des musiques enregistrées en différé que nous pouvons reproduire à l'infini (et ceci depuis le début du XXième siècle). Il est possible d'envisager avec la musique en réseau ce qui serait une extension des pratiques en direct avec la radio (duplex, full duplex), des musiques jouées en direct simultanément à distance grâce aux techniques de streaming et composées spécialement pour ce medium. La musique en réseau poursuit donc l'aventure de la musique diffusée (par la radio, et ensuite celle composée « pour » la radio) en intégrant dans son dispositif de réalisation (ou d'exécution) et de composition les conditions du direct et de la présence simultanée à distance (« hic et nunc », « illic et simul »). Il semble important de ne pas ignorer également l’intervention interprétative de l’auditeur / internaute en tant qu’acte créatif et interprétatif, et par là, de souligner que son auteur/auditeur devient un créateur en droit (During, 2004){footnote}{small}During E. (2004). ''La Coupe, l’Écran, la Trame''. In “Révolutions Industrielles de la Musique”, édité par Nicolas Donin et Bernard Stiegler, Cahiers de la Médiologie / Ircam, n° 18, (pp. 57-64). Paris: Librairie Arthème Fayard.{/small}{/footnote}. il participe lui-même activement à la transformation de la musique en une expérience « environnementale » d’un genre nouveau, qui est proprement une expérience esthétique, engagée au-delà de la simple manipulation des cadrans et des boutons (Gould, 1983){footnote}{small}Gould G. (1983). ''Les Perspectives de l'Enregistrement''. In "Le Dernier Puritain — Écrits 1", édité par Bruno Monsaigeon, Paris: Fayard.{/small}{/footnote} et du pilotage (Kihm, 2004){footnote}{small}Kihm C. (2004). ''Platinisme et Pratiques d'Amplification''. In "Révolutions Industrielles de la Musique", édité par Nicolas Donin et Bernard Stiegler, Cahiers de la Médiologie / Ircam, no. 18, (pp. 123-129. Paris): Librairie Arthème Fayard.{/small}{/footnote} de machines d'écoute ou de fonctions pré-programmés de logiciels. {br}{br}{br}{br} ---- ---- ----
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