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« Tout ce qui bouge sur un écran est du cinéma. » (Jean Renoir)


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Jean Vigo, L'Atalante, 1934




source:

http://www.youtube.com/watch?v=UR-k_Mp_P3A



Une étude: lien externe



L’Atalante est donc un film de commande. C’est une donne essentielle à la compréhension du film. Truffaut affirme même, dans l’interview télévisée déjà évoquée, qu’un film de commande en tant que deuxième film permet de révéler si le cinéaste a un véritable talent à exprimer ou si celui-ci n’est l’homme que d’un seul film. La réponse de Vigo à ce postulat est magistrale.<br />

L’Atalante est un grand film libre. D’abord parce que Vigo va s’affranchir des contraintes du scénario avec des détournements de personnages et de situation non programmés. C’est un homme d’intuition qui sait réagir aux opportunités. Les aléas climatiques, par exemple, lui permettront de tourner des scènes où l’héroïne déambule en petites chaussures dans la neige, à la recherche d’un emploi, devant des portes d’usines qui ne s’ouvrent plus aux files de chômeurs. Malgré, un sujet lisse ne prêtant apparemment pas à la critique sociale, Jean Vigo ne laissera pas passer ce genre d’occasions de se raccrocher à la réalité.



Mais que raconte l’Atalante ? A priori, une histoire assez banale. Jean et Juliette se marient. Lui est marinier. Elle, n’a jamais quitté sa campagne. La jeune femme qui espérait l’aventure, découvre la vie relativement morne et réglée d’une péniche de fret, entrecoupée seulement par quelques intermèdes avec le Père Jules qui, séduit par ‘la patronne’, lui raconte sa vie exotique et aventureuse. A cause d’un séduisant camelot qui l’invite à découvrir les lumières de la grande ville, Juliette fait une escapade qui va provoquer son abandon par Jean, en proie à une jalousie qui le dévore, avant des retrouvailles annoncées. On pouvait tout craindre d’un tel sujet sur le couple et la jalousie : drame, pathos, larmes… très en vogue dans le cinéma contemporain de Vigo. C’est, bien entendu, tout le contraire que l’on obtiendra sur la pellicule : un film moderne, parfois surréel, fascinant par sa liberté de ton, poétique, mais surtout charnel. Cela a déjà été évoqué plus haut, et Truffaut est d’ailleurs frappé par la maîtrise de Vigo à filmer la peau, mais il fait preuve aussi d’une véritable audace dans une des scènes les plus sensuelles du film. Les deux amants sont séparés, lui dans la couchette de sa péniche, elle dans son petit lit en fer d’un petit hôtel minable. Et il filme les deux corps en parallèle faisant l’amour à distance. L’image et la musique sont à l’unisson pour une scène d’amour sublimée au véritable sens du terme. Est-il la peine de préciser que cette scène subira les coups de ciseaux d’Anasthasie (comme on nommait la censure à l’époque) ?



Comme on le sait, l’Atalante est l’archétype du film maudit. Non seulement il ne connaîtra aucun succès, mais il sera maintes fois mutilé et remonté au point qu’il était devenu difficile, après guerre, de voir le film plusieurs fois de suite dans une même version ! Le film sera même débaptisé et renommé du titre d’une ritournelle très en vogue à l’époque : Le Chaland qui passe. Baptême qui s’accompagnera du pire des sacrilèges : la musique envoûtante de Maurice Jaubert qui donne au film ce caractère hors du temps et poétique sera le plus souvent remplacée par le refrain de cette chanson à la mode.



Non seulement on a tenté de contraindre Vigo, en terme de scénario, mais la Gaumont réussit à lui faire imposer par le producteur, un monteur, Louis Chavance. C’est pendant le montage que Vigo épuisé par le tournage, s’alite pour ne plus se relever. Il aura toutefois le temps d’approuver (malgré les dissensions qui l’opposent à son monteur) un premier montage du film. Cette version sera retrouvée au début des années quatre-vingt-dix au British Film Institute. C’est celle que nous avons la chance de voir sur ce DVD, et qui est donc la plus proche de ce qu’aurait dû être l’Atalante pensée par Jean Vigo. C’est la raison principale pour laquelle le film comporte quelques petites longueurs ou redondances que Vigo aurait vraisemblablement écartées du montage final, mais ainsi, le film montre déjà tout son potentiel. On retiendra des scènes extraordinaires et qui marquent l’imaginaire du cinéphile avec notamment:

Le long ‘travelling’ sur la mariée en robe blanche qui traverse toute la péniche, puis la femme et ses enfants qui la regardent passer sur la berge (un plan qui fait irrémédiablement penser à la nuit du chasseur) ;

Le troublant rapport de séduction inconscient entre le père Jules et Juliette dans sa cabine, interrompu par le passage d’un chat ;

L’étonnante scène sous-marine où Jean plonge pour voir dans l’eau le visage de l’être aimé ;

La sensuelle scène d’amour évoquée plus haut ;

Et une scène finale réaliste, passionnée et sans pathos qui synthétise le style Vigo.



Ce qui surprend essentiellement lors de la première vision du film, c’est une certaine sécheresse dans le ton. Vigo ne s’embarrasse pas de dialogues inutiles et ne tourne pas autour du pot pour exprimer ce qu’il veut faire dire à ses personnages. Il laisse les sentiments s’exprimer (ou pas !) de la façon la plus naturelle possible. Pourtant, il n’hésitera pas à faire retourner des scènes jusqu’à l’épuisement de ses acteurs.



L’Atalante, œuvre poétique et emprunte de surréalisme est issue d’un travail rigoureux et perfectionniste qui a germé dans la tête d’un véritable cinéaste, qui non content d’innover, en terme de techniques de narration notamment (on attribue à George Stevens d’avoir été le premier à filmer un couple en plan très rapproché, dans Une place au soleil, mais vous verrez que Vigo l’avait déjà fait 20 ans auparavant), avait un talent de visionnaire, au sens premier du terme. Il a tenté d’imprimer sur la pellicule une certaine idée du cinéma, un plaidoyer pour un ‘cinéma social et vivant’ qui provoque l’intérêt. Oui, dès A propos de Nice, tout était déjà dit, il suffisait de le prouver. En deux films et deux court-métrage, la démonstration est éclatante et sans appel.






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